Pour une démocratie directe locale

Face à la mutation sociétale en cours : l'élévation de nos démocraties

L'accaparement des terres dans le monde par les multinationales

Sur tous les continents, des dizaines de millions d’hectares de terres sont vendus à des investisseurs étrangers ou nationaux pour produire leur propre alimentation ou leur énergie (biocarburants).

Plus de 60% des transactions se font en Afrique au détriment des paysans et de la sécurité alimentaire des pays.

  • Comment s’explique ce phénomène ?
  • Qui sont les investisseurs ?
  • Y a-t-il des solutions pour l’enrayer ?

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Réponses à cette discussion

Origine de l'info :

Afrique : l’accaparement des terres s’intensifie

Sur tous les continents, des dizaines de millions d’hectares de terres sont vendus à des investisseurs étrangers ou nationaux pour produire leur propre alimentation ou leur énergie (biocarburants). Plus de 60% des transactions se font en Afrique au détriment des paysans et de la sécurité alimentaire des pays. Comment s’explique ce phénomène ? Qui sont les investisseurs ? Y a-t-il des solutions pour l’enrayer ?

Invités :

- Mathieu Boche, doctorant au Cirad, étudie les acquisitions foncières à grande échelle et leur impact

- Antoine Bouhey, chargé de mission Souveraineté alimentaire pour l’association Peuples Solidaires

- Ibrahima Coulibaly, président de la CNOP, la Coordination des Organisations Paysannes du Mali

- Zakaria Sambakhé, membre du CNCR, le Conseil sénégalais de concertation et de coopération des ruraux

Pour en savoir plus sur :

- Le phénomène de l’accaparement des terres dans le monde :
http://landportal.info/landmatrix ; http://planete-a-vendre.arte.tv/

- le forum sur les agricultures familiales de Dakar :
http://www.alimenterre.org/breve/forum-a-dakar-exploitations-familiales-nourrissent-lafrique-louest

- les enjeux de l’accaparement des terres au Mali :
http://www.alimenterre.org/ressource/situation-politique-et-accaparement-terres-mali

Origine de l'info ici

Le 6 septembre 2012, le Président de la BERD et le directeur général de la FAO ont signé ensemble un article dans le Wall Street Journal dans lequel ils lançaient un appel aux gouvernements et aux organisations sociales de l'Europe de l'Est et de l'Afrique du Nord leur demandant "d'adopter le secteur privé comme le moteur principal de la production mondiale de nourriture afin de favoriser l'accaparement des terres dans le monde. [...] Le secteur privé est efficace et dynamique pour mieux gérer les investissements sur la terre elle-même.".

Voilà un sujet qui devrait intéresser les associations écologistes. Il met en cause deux acteurs de poids : Monsanto et la BERD - Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement. Monsanto est une entreprise née en 1901 comme notre loi associative. Créée par John Francis Queeny, elle a son siège à Saint-Louis - États-Unis. Sa spécialité aujourd'hui : les biotechnologies végétales.

Mais à l'origine, Monsanto était un producteur de saccharine que la firme vendait à une petite société d'alors : Coca-Cola. Viendra ensuite la célèbre Aspirine qui fera la fortune du groupe, puis ensuite les produits chimiques agricoles dont les célèbres PCB (1), l'agent orange (2), le Roundup (3) et le Lasso (4) pour ne citer que les produits qui ont défrayé la chronique.

Aujourd'hui, son activité principale est la vente de semences génétiquement modifiées (OGM) qui viennent souvent accompagnées du Roundup car la modification génétique permet aux semences de résister à cet herbicide total (le soja Roundup Ready, le colza Roundup Ready et le coton Roundup Ready, etc.).

Bref, pour ceux qui ne connaissent pas encore Monsanto, je vous conseille de lire les renvois en bas de page pour bien comprendre l'importance de l'information que nous allons vous donner.

Tout d'abord, quelques mots sur la BERD
La Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement est une organisation internationale dont le siège est situé à Londres. Elle a été créée le 29 mai 1990 par François Mitterrand et dirigée de 1991 à 1993 par Jacques Attali. La Banque précise dans ses statuts que "le développement durable est essentiel à l’exercice de saines pratiques commerciales et tous les projets d’investissement sont sélectionnés avec soin dans cette optique, conformément à sa politique environnementale et sociale". Ce point est important...

Les actionnaires de la BERD sont en premier lieu les Etats européens qui financent donc les activités de la banque avec les impôts des citoyens européens.

Le 19 novembre 2012, un communiqué de presse du réseau CEE Bankwatch Network (5) révèle une étrange information : " La Banque Euroépenne pour la reconstruction et le Développement (BERD) devra se prononcer en avril 2013 sur une garantie financière de 40 millions de dollars pour couvrir Monsanto au cas où les entreprises agricoles et des distributeurs qui se sont engagés à acheter des semences ou des produits agrochimiques à la firme ne pourraient pas les payer !"

Le soutien serait assuré par la BERD sur des contrats entre Monsanto et des grandes et moyennes exploitations agricoles en Bulgarie, Hongrie, Russie, Serbie, Turquie et Ukraine.

Le réseau CEE Bankwatch Network rappelle que Monsanto est en procès dans divers pays du monde en raison de ses activités criminelles (en français dans le texte) :
- En Inde, la firme est poursuivie pour bio-piraterie;
- Aux USA, un collectif d'agriculteurs qui représente 300 000 exploitants a porté plainte sur la question des brevets et les droits abusifs que le gouvernement fédéral octroie à l'entreprise;
- Au Brésil, le gouvernement refuse de payer les royalties sur des semences OGM alors même que Monsanto n'avait pas indiqué que ces dernière étaient rendues stériles pour obliger le paiement récurent des royalties;

De son côté, Monsanto ne cesse de harceler en justice les agriculteurs partout dans le monde, les accusant d'avoir utilisé ses semences OGM sans payer de royalties alors qu'il est prouvé que les semences OGM sont comme toutes les semences : volatiles et que de ce fait elles se retrouvent dans des champs ou même des régions entières sans que les agriculteurs ne l'aient souhaité.

Comment une firme privée avec de tels agissements pourrait-elle bénéficier du soutien de l'argent public ?

Selon la BERD, il n'y aura pas d'OGM dans les contrats qui vont être signés avec Monsanto. Mais comment faire confiance à Monsanto ? Le réseau CEE Bankwatch Network a noté en effet qu'en Juillet-Août 2011, la Hongrie a du détruire entre 8500 et 9000 ha de maïs à cause de la contamination OGM de semences provenant de chez Monsanto.

La BERD ment.
Sur son site (en anglais), on trouve la description du projet de soutien financier dans lequel il est mentionné en toutes lettres que : "cela permettra à Monsanto d'augmenter sa capacité de prêt, autorisant ainsi un plus grand nombre d'agriculteurs de bénéficier des développements tels qu'une plus grande résistance aux maladies et aux nuisibles et donc de plus hauts rendements, ce qui améliorera leurs profits et contribuera à soulager les pays concernés de certains problèmes de sécurité alimentaire".

La BERD ne s'arrête pas là.
En plus de cette propagande pour le moins étonnante, la BERD affirme ensuite que ce projet va surtout servir "de vitrine pour démontrer tous les avantages du pré-financement des semences et intrants avec partage des risques, aux agriculteurs des pays ciblés, les options de pré-financement étant très limitées dans ces pays".

Plus de 150 organisations appellent la banque à renoncer à ce projet de soutien financier à Monsanto (6). La lettre rappelle la longue saga du transfert par Monsanto de ses risques sur les gens et sur l'environnement au mépris de toute autre considération que l'enrichissement immédiat et non partagé.

Pour conclure cette sinistre affaire, il faut signaler que ce fait n'est pas le fruit du hasard. Le 6 septembre 2012, le Président de la BERD et le directeur général de la FAO ont signé ensemble un article dans le Wall Street Journal dans lequel ils lançaient un appel aux gouvernements et aux organisations sociales de l'Europe de l'Est et de l'Afrique du Nord leur demandant "d'adopter le secteur privé comme le moteur principal de la production mondiale de nourriture afin de favoriser l'accaparement des terres dans le monde. [...] Le secteur privé est efficace et dynamique pour mieux gérer les investissements sur la terre elle-même.".

Il est utile de préciser pour finir que le mandat de la BERD se limite aux pays "qui s’engagent à respecter et mettre en pratique les principes de la démocratie pluraliste, de l’économie de marché, de favoriser la transition de leurs économies vers des économies de marché, et d’y promouvoir l’initiative privée et l’esprit d’entreprise".

En savoir plus
(1) Les polychlorobiphényles (PCB), qui sont aussi nommés les pyralènes (utilisé dans les transformateurs EDF) forment une famille de 209 composés aromatiques dérivés du biphényle. Les PCB sont très toxiques même à faible dose en tant que perturbateurs endocriniens. Ce sont des polluants très persistants (jusqu'à 2700 ans selon les molécules). Ils sont classés comme cancérigènes (cancer du foie, des voies biliaires,du pancréas). En France, fabriquer ou utiliser des PCB est interdit depuis 1987. Mais il reste environ 80 000 tonnes (venant des transformateurs et condensateurs à détruire) sous forme liquide dont on ne sait que faire.

(2) Le nom chimique de l'agent orange est le "2,4,5-trichlorophénol". C'est un herbicide qui a été utilisé en tant que défoliant par l'armée des USA pendant la guerre du Viêtnam notamment en raison de la présence de dioxine. La dioxine est responsable de plusieurs maladies dont des cancers ou des malformations à la naissance.

(3) Roundup est commercialisé depuis 1975. Il est utilisé en épandage ou en pulvérisateur manuel. C'est un herbicide non-sélectif (qui tue tout) d'où son nom d’herbicide total. Il est jugé très dangereux pour la santé mais toujours en vente, alors que la firme ne détient plus les droits sur la molécule : le glyphosate. En janvier 2007, la société Monsanto fut condamnée par le tribunal correctionnel de Lyon pour publicité mensongère relativement au produit Roundup. Depuis, il n'est plus possible pour Monsanto d'indiquer que le Roundup est un produit sans risques pour l'environnement. La condamnation a été confirmée en appel le 29 octobre 2008 et Monsanto a été condamnée à verser une amende de 15 000 euros.

(4) Le Lasso est un autre herbicide puissant. Celui là est connu du grand public par le procès gagné par un cultivateur français, Mr Paul François contre la firme le 13 février 2012. En effet, pour la première fois en France, un Tribunal de grande instance (TGI de Lyon) a établi la responsabilité civile de Monsanto dans cette affaire, condamnant la firme à indemniser entièrement la victime qui avait été intoxiquée par des vapeurs de Lasso lors du nettoyage d'une cuve. Dans cette affaire (unique en France) Monsanto a non seulement péché par manque d’information en n'avertissant pas les utilisateurs des risques liés à l'inhalation, ni de l'obligation de porter un masque, mais surtout, la firme américaine a "tout fait pour laisser le Lasso sur le marché", un produit pourtant signalé très dangereux dès les années 80 et interdit au Canada, au Royaume-Uni et en Belgique. Il n'a été retiré du marché français qu'en 2007.

(5) Le réseau CEE Bankwatch Network (en français)

(6) On ne veut pas payer les risques pour Monsanto (en anglais)

Planète à vendre : film arte

Les crises alimentaire et financière qui ont secoué le monde en 2008 ont eu un effet méconnu du public. Elles ont provoqué une incroyable course pour la mainmise sur les terres cultivables partout dans le monde.

En deux ans, plus de cinquante millions d’hectares ont déjà changé de mains.

Et des dizaines de millions d’autres sont en voie d’être cédés.

À tel point que l’ONU s’en est alarmé : le patron de la FAO, Jacques Diouf, a dénoncé « le risque d’un néo-colonialisme agraire »…

Les acquéreurs :

des investisseurs et des industriels des pays riches ou émergents (Japon, Chine, Inde, et de nombreux pays du Golfe), soutenus par leurs gouvernements, qui cherchent à garantir la sécurité alimentaire de leur pays.

Mais aussi des acteurs purement financiers (Banques, fonds spéculatifs), qui ont compris que la terre sera le placement le plus juteux du XXIe siècle.

Résultat :

une ruée sans précédent vers les meilleures terres des pays sous-développés.

Ces mêmes pays, comme le Soudan, le Sénégal, les Philippines ou le Pakistan, qui ont connu en 2008 des émeutes de la faim.

Pire, certains d’entre eux, comme le Cambodge ou l’Ethiopie, doivent avoir recours à l’aide internationale pour nourrir leurs peuples…

Ce film est une enquête sur trois continents, parce que la question de l'accaparement des terres est globale.

Trois continents et trois cas emblématiques pour raconter à hauteur d’homme une seule et même histoire : celle du Grand Monopoly en cours, et des conséquences dramatiques qu’il pourrait avoir si rien n’est fait pour protéger les intérêts des petits paysans et des pays en développement.

  •  Madagascar

 

  •  Le cas de l'Arabie Saoudite 

 

 

  • Ram Karuturi en Ethiopie

  •  L'exploitation des petits paysans

 

 

Cette animation rappelle l'importance des sols et de l'obligation de le sauvegarder pour que nous continuons à y vivre.
Pour plus d'information  www.globalsoilweek.org

http://vimeo.com/iasspotsdam/letstalkaboutsoil-french

Origine de l'article :

Bolloré, Crédit agricole, Louis Dreyfus : ces groupes français, champions de l’accaparement de terres

Alors que 868 millions de personnes souffrent de sous-alimentation, selon l’Onu, l’accaparement de terres agricoles par des multinationales de l’agrobusiness ou des fonds spéculatifs se poursuit.

L’équivalent de trois fois l’Allemagne a ainsi été extorqué aux paysans africains, sud-américains ou asiatiques.

Les plantations destinées à l’industrie remplacent l’agriculture locale. Plusieurs grandes entreprises françaises participent à cet accaparement, avec la bénédiction des institutions financières. Enquête

Au Brésil,

le groupe français Louis Dreyfus, spécialisé dans le négoce des matières premières, a pris possession de près de 400 000 hectares de terres : l’équivalent de la moitié de l’Alsace, la région qui a vu naître l’empire Dreyfus, avec le commerce du blé au 19ème siècle.

Ces terres sont destinées aux cultures de canne à sucre et de soja.

Outre le Brésil, le discret empire commercial s’est accaparé, via ses filiales Calyx Agro ou LDC Bioenergia [1], des terres en Uruguay, en Argentine ou au Paraguay.

Si Robert Louis Dreyfus, décédé en 2009, n’avait gagné quasiment aucun titre avec l’Olympique de Marseille, club dont il était propriétaire, il a fait de son groupe le champion français toute catégorie dans l’accaparement des terres.

Le Groupe Louis-Dreyfus – 56 milliards d’euros de chiffre d’affaires [2] – achète, achemine et revend tout ce que la terre peut produire : blé, soja, café, sucre, huiles, jus d’orange, riz ou coton, dont il est le « leader » mondial via sa branche de négoce, Louis-Dreyfus Commodities.

Son jus d’orange provient d’une propriété de 30 000 ha au Brésil. L’équivalent de 550 exploitations agricoles françaises de taille moyenne !

Il a ouvert en 2007 la plus grande usine au monde de biodiesel à base de soja, à Claypool, au Etats-Unis (Indiana).

Il possède des forêts utilisées « pour la production d’énergie issue de la biomasse, l’énergie solaire, la géothermie et l’éolien ». Sans oublier le commerce des métaux, le gaz naturel, les produits pétroliers, le charbon et la finance.

Course effrénée à l’accaparement de terres

En ces périodes de tensions alimentaires et de dérèglements climatiques, c’est bien l’agriculture qui semble être l’investissement le plus prometteur.

« En 5 ans, nous sommes passés de 800 millions à 6,3 milliards de dollars d’actifs industriels liés à l’agriculture », se réjouissait le directeur du conglomérat, Serge Schoen [3].

Le groupe Louis Dreyfus illustre la course effrénée à l’accaparement de terres agricoles dans laquelle se sont lancées de puissantes multinationales.

Sa holding figure parmi les cinq premiers gros traders de matières premières alimentaires, avec Archer Daniels Midland (États-Unis), Bunge (basé aux Bermudes), Cargill (États-Unis) et le suisse Glencore. Ces cinq multinationales, à l’acronyme ABCD, font la pluie et le beau temps sur les cours mondiaux des céréales [4].

L’exemple de Louis Dreyfus n’est pas isolé. États, entreprises publiques ou privées, fonds souverains ou d’investissements privés multiplient les acquisitions – ou les locations – de terres dans les pays du Sud ou en Europe de l’Est.

Objectif : se lancer dans le commerce des agrocarburants, exploiter les ressources du sous-sol, assurer les approvisionnements alimentaires pour les États, voire bénéficier des mécanismes de financements mis en œuvre avec les marchés carbone. Ou simplement spéculer sur l’augmentation du prix du foncier. Souvent les agricultures paysannes locales sont remplacées par des cultures industrielles intensives. Avec, à la clé, expropriation des paysans, destruction de la biodiversité, pollution par les produits chimiques agricoles, développement des cultures OGM... Sans que les créations d’emplois ne soient au rendez-vous.

Trois fois la surface agricole de la France

Le phénomène d’accaparement est difficile à quantifier. De nombreuses transactions se déroulent dans le plus grand secret. Difficile également de connaître l’origine des capitaux.

Une équipe de la Banque mondiale a tenté de mesurer le phénomène. En vain !

« Devant les difficultés opposées au recueil des informations nécessaires (par les États comme les acteurs privés), et malgré plus d’un an de travail, ces chercheurs ont dû pour l’évaluer globalement s’en remettre aux articles de presse », explique Mathieu Perdriault de l’associationAgter.

Selon la base de données Matrice foncière, l’accaparement de terres représenterait 83 millions d’hectares dans les pays en développement. L’équivalent de près de trois fois la surface agricole française (1,7% de la surface agricole mondiale) ! Selon l’ONG Oxfam, qui vient de publier un rapportà ce sujet, « une superficie équivalant à celle de Paris est vendue à des investisseurs étrangers toutes les 10 heures », dans les pays pauvres [5].

L’Afrique, cible d’un néocolonialisme agricole ?

L’Afrique, en particulier l’Afrique de l’Est et la République démocratique du Congo, est la région la plus convoitée, avec 56,2 millions d’hectares.

Viennent ensuite l’Asie (17,7 millions d’ha),

puis l’Amérique latine (7 millions d’ha).

Pourquoi certains pays se laissent-il ainsi « accaparer » ?

Sous prétexte d’attirer investissements et entreprises, les réglementations fiscales, sociales et environnementales des pays les plus pauvres sont souvent plus propices.

Les investisseurs se tournent également vers des pays qui leur assurent la sécurité de leurs placements. Souvent imposées par les institutions financières internationales, des clauses garantissent à l’investisseur une compensation de la part de l’État « hôte » en cas d’expropriation.

Des clauses qui peuvent s’appliquer même en cas de grèves ou de manifestations.

Les acteurs de l’accaparement des terres, privés comme publics, sont persuadés – ou feignent de l’être – que seul l’agrobusiness pourra nourrir le monde en 2050.

Leurs investissements visent donc à « valoriser » des zones qui ne seraient pas encore exploitées.

Mais la réalité est tout autre, comme le montre une étude de la Matrice Foncière : 45% des terres faisant l’objet d’une transaction sont des terres déjà cultivées.

Et un tiers des acquisitions sont des zones boisées, très rentables lorsqu’on y organise des coupes de bois à grande échelle.

Des terres sont déclarées inexploitées ou abandonnées sur la foi d’imageries satellites qui ne prennent pas en compte les usages locaux des terres.

40% des forêts du Liberia sont ainsi gérés par des permis à usage privés [6] (lire aussi notre reportage au Liberia). Ces permis, qui permettent de contourner les lois du pays, concernent désormais 20 000 km2. Un quart de la surface du pays !

Selon Oxfam, 60% des transactions ont eu lieu dans des régions« gravement touchées par le problème de la faim » et « plus des deux tiers étaient destinées à des cultures pouvant servir à la production d’agrocarburants comme le soja, la canne à sucre, l’huile de palme ou le jatropha ». Toujours ça que les populations locales n’auront pas...

Quand AXA et la Société générale se font propriétaires terriens

« La participation, largement médiatisée, des États au mouvement d’acquisition massive de terre ne doit pas masquer le fait que ce sont surtout les opérateurs privés, à la poursuite d’objectifs purement économiques et financiers, qui forment le gros bataillon des investisseurs », souligne Laurent Delcourt, chercheur auCetri. Les entreprises publiques, liées à un État, auraient acheté 11,5 millions d’hectares. Presque trois fois moins que les investisseurs étrangers privés, propriétaires de 30,3 millions d’hectares. Soit la surface de l’Italie ! Si les entreprises états-uniennes sont en pointe, les Européens figurent également en bonne place.

Banques et assurances françaises se sont jointes à cette course à la propriété terrienne mondiale.

L’assureur AXA a investi 1,2 milliard de dollars dans la société minière britannique Vedanta Resources PLC, dont les filiales ont été accusées d’accaparement des terres [7]. AXA a également investi au moins 44,6 millions de dollars dans le fond d’investissement Landkom (enregistré dans l’île de Man, un paradis fiscal), qui loue des terres agricoles en Ukraine.

Quant au Crédit Agricole, il a créé – avec la Société générale – le fonds « Amundi Funds Global Agriculture ».

Ses 122 millions de dollars d’actifs sont investis dans des sociétés telles que Archer Daniels Midland ou Bunge, impliquées comme le groupe Louis Dreyfus dans l’acquisition de terres à grande échelle.

Les deux banques ont également lancé le « Baring Global Agriculture Fund » (133,3 millions d’euros d’actifs) qui cible les sociétés agro-industrielles.

Les deux établissement incitent activement à l’acquisition de terres, comme opportunité d’investissement.

Une démarche socialement responsable ?

Vincent Bolloré, gentleman farmer

Après le groupe Louis Dreyfus, le deuxième plus gros investisseur français dans les terres agricoles se nomme Vincent Bolloré.

Son groupe, via l’entreprise Socfin et ses filiales Socfinaf et Socfinasia, est présent dans 92 pays dont 43 en Afrique.

Il y contrôle des plantations, ainsi que des secteurs stratégiques : logistique, infrastructures de transport, et pas moins de 13 ports, dont celui d’Abidjan.

L’empire Bolloré s’est développée de façon spectaculaire au cours des deux dernières décennies « en achetant des anciennes entreprises coloniales, et [en] profitant de la vague de privatisations issue des "ajustements structurels" imposés par le Fonds monétaire international », constate le Think tank états-unien Oakland Institute.

Selon le site du groupe, 150 000 hectares plantations d’huile de palme et d’hévéas, pour le caoutchouc, ont été acquis en Afrique et en Asie. L’équivalent de 2700 exploitations agricoles françaises ! Selon l’association Survie, ces chiffres seraient en deçà de la réalité. Le groupe assure ainsi posséder 9 000 ha de palmiers à huile et d’hévéas au Cameroun, là où l’association Survie en comptabilise 33 500.

Expropriations et intimidations des populations

Quelles sont les conséquences pour les populations locales ? Au Sierra Leone,
Bolloré a obtenu un bail de 50 ans sur 20 000 hectares de palmier à huile et 10 000 hectares d’hévéas. « Bien que directement affectés, les habitants de la zone concernée semblent n’avoir été ni informés ni consultés correctement avant le lancement du projet : l’étude d’impact social et environnemental n’a été rendue publique que deux mois après la signature du contrat », raconte Yanis Thomas de l’association Survie.

En 2011, les villageois tentent de bloquer les travaux sur la plantation.

Quinze personnes « ont été inculpées de tapage, conspiration, menaces et libérées sous caution après une âpre bataille judiciaire. »

Bolloré menace de poursuivre en justice pour diffamation The Oakland Institute, qui a publié un rapport en 2012 sur le sujet pour alerter l’opinion publique internationale.

Au Libéria, le groupe Bolloré possède la plus grande plantation d’hévéas du pays, via une filiale, la Liberia Agricultural Company (LAC).

En mai 2006, la mission des Nations Unies au Libéria (Minul) publiait un rapport décrivant les conditions catastrophiques des droits humains sur la plantation : travail d’enfants de moins de 14 ans, utilisation de produits cancérigènes, interdiction des syndicats, licenciements arbitraires, maintien de l’ordre par des milices privées, expulsion de 75 villages….

La LAC a qualifié les conclusions de la Minul « de fabrications pures et simples » et « d’exagérations excessives ». Ambiance... Plusieurs années après le rapport des Nations Unies, aucune mesure n’a été prise par l’entreprise ou le gouvernement pour répondre aux accusations.

Une coopératives agricole qui méprise ses salariés

Autre continent, mêmes critiques. Au Cambodge, la Socfinasia, société de droit luxembourgeois détenue notamment par le groupe Bolloré a conclu en 2007 unjoint-venture qui gère deux concessions de plus de 7 000 hectares dans la région de Mondulkiri. La Fédération internationale des Droits de l’homme (FIDH) a publié en 2010 un rapport dénonçant les pratiques de la société Socfin-KCD.« Le gouvernement a adopté un décret spécial permettant l’établissement d’une concession dans une zone anciennement protégée, accuse la FIDH. Cette situation, en plus d’autres violations documentées du droit national et des contrats d’investissement, met en cause la légalité des concessions et témoigne de l’absence de transparence entourant le processus d’approbation de celles-ci. » Suite à la publication de ce rapport, la Socfin a menacé l’ONG de poursuites pour calomnie et diffamation.

Du côté des industries du sucre, la situation n’est pas meilleure.

Depuis 2007, le géant français du sucre et d’éthanol, la coopérative agricole Tereos, contrôle une société mozambicaine [8]. Tereos exploite la sucrerie de Sena et possède un bail de 50 ans (renouvelable) sur 98 000 hectares au Mozambique. Le contrat passé avec le gouvernement prévoit une réduction de 80% de l’impôt sur le revenu et l’exemption de toute taxe sur la distribution des dividendes.

Résultat : Tereos International réalise un profit net de 194 millions d’euros en 2010, dont 27,5 millions d’euros ont été rapatriés en France sous forme de dividendes. « De quoi mettre du beurre dans les épinards des 12 000 coopérateurs français de Tereos », ironise le journaliste Fabrice Nicolino.

Soit un dividende de 2 600 euros par agriculteur français membre de la coopérative.

Pendant ce temps, au Mozambique, grèves et manifestations se sont succédé dans la sucrerie de Sena : bas salaires (48,4 euros/mois), absence d’équipements de protection pour les saisonniers, nappe phréatique polluée aux pesticides... Ce doit être l’esprit coopératif [9].

Fermes et fazendas, nouvelles cibles de la spéculation

Connues ou non, on ne compte plus les entreprises et les fonds d’investissement français qui misent sur les terres agricoles. Bonduelle, leader des légumes en conserve et congelés, possède deux fermes de 3 000 hectares en Russie où il cultive haricots, maïs et pois. La célèbre marque cherche à acquérir une nouvelle exploitation de 6 000 ha dans le pays. Fondée en 2007 par Jean-Claude Sabin, ancien président de la pieuvre Sofiproteol (aujourd’hui dirigée par Xavier Beulin président de la FNSEA), Agro-énergie Développement (AgroEd) investit dans la production d’agrocarburants et d’aliments dans les pays en développement. La société appartient à 51% au groupe d’investissement LMBO, dont l’ancien ministre de la Défense, Charles Millon, fut l’un des directeurs. Les acquisitions de terres agricoles d’AgroEd en Afrique de l’Ouest sont principalement destinées à la culture du jatropha, transformé ensuite en agrocarburants ou en huiles pour produits industriels. Mais impossible d’obtenir plus de précisions. Les sites internet de LMBO et AgroED sont plus que discrets sur le sujet. Selon une note de l’OCDE, AgroEd aurait signé un accord avec le gouvernement burkinabé concernant 200 000 hectares de Jatropha, en 2007, et négocient avec les gouvernements du Bénin, de Guinée et du Mali.

« Compte tenu de l’endettement massif des États et des politiques monétaires très accommodantes, dans une optique de protection contre l’inflation, nous recommandons à nos clients d’investir dans des actifs réels et notamment dans les terres agricoles de pays sûrs, disposant de bonnes infrastructures, comme l’Argentine », confie au Figaro Franck Noël-Vandenberghe, le fondateur de Massena Partners. Ce gestionnaire de fortune français a crée le fond luxembourgeois Terra Magna Capital, qui a investi en 2011 dans quinze fermes en Argentine, au Brésil, au Paraguay et en Uruguay. Superficie totale : 70 500 hectares, trois fois le Val-de-Marne ! [10]

Le maïs aussi rentable que l’or

Conséquence de ce vaste accaparement : le remplacement de l’agriculture vivrière par la culture d’agrocarburants, et la spéculation financière sur les terres agricoles. Le maïs a offert, à égalité avec l’or, le meilleur rendement des actifs financiers sur ces cinq dernières années, pointe une étude de la Deutsche Bank. En juin et juillet 2012, les prix des céréales se sont envolés : +50 % pour le blé, +45% pour le maïs, +30 % pour le soja, qui a augmenté de 60 % depuis fin 2011 ! Les prix alimentaires devraient « rester élevés et volatils sur le long terme », prévoit la Banque mondiale. Pendant ce temps, plus d’un milliard d’individus souffrent de la faim. Non pas à cause d’une pénurie d’aliments mais faute d’argent pour les acheter.

Qu’importe ! Au nom du développement, l’accaparement des terres continuent à être encouragé – et financé ! – par les institutions internationales. Suite aux famines et aux émeutes de la faim en 2008, la Banque mondiale a créé un « Programme d’intervention en réponse à la crise alimentaire mondiale » (GFRP). Avec plus de 9 milliards de dollars en 2012, son fonds de « soutien » au secteur agricole a plus que doublé en quatre ans. Via sa Société financière internationale (SFI), l’argent est distribué aux acteurs privés dans le cadre de programme aux noms prometteurs : « Access to land » (accès à la terre) ou « Land market for investment » (marché foncier pour l’investissement).

Des placements financiers garantis par la Banque mondiale

Les deux organismes de la Banque mondiale, SFI et FIAS (Service Conseil pour l’Investissement Étranger) facilitent également les acquisitions en contribuant aux grandes réformes législatives permettant aux investisseurs privés de s’installer au Sierra Leone, au Rwanda, au Liberia ou au Burkina Faso…

Quels que soient les continents, « la Banque mondiale garantit nos actifs par rapport au risque politique », explique ainsi l’homme d’affaire états-unien Neil Crowder à la BBC en mars 2012, qui rachète des petites fermes en Bulgarie pour constituer une grosse exploitation. « Notre assurance contre les risques politiques nous protège contre les troubles civils ou une impossibilité d’utiliser nos actifs pour une quelconque raison ou en cas d’expropriation. »

Participation au capital des fonds qui accaparent des terres, conseils et assistances techniques aux multinationales pour améliorer le climat d’investissement des marchés étrangers, négociations d’accords bilatéraux qui créent un environnement favorable aux transactions foncières : la Banque mondiale et d’autres institutions publiques – y compris l’Agence française du développement – favorisent de fait « la concentration du pouvoir des grandes firmes au sein du système agroalimentaire, (...) la marchandisation de la terre et du travail et la suppression des interventions publiques telles que le contrôle des prix ou les subventions aux petits exploitants », analyse Elisa Da Via, sociologue du développement [11].

Oxfam réclame de la Banque mondiale « un gel pour six mois de ses investissements dans des terres agricoles » des pays en développement, le temps d’adopter « des mesures d’encadrement plus rigoureuses pour prévenir l’accaparement des terres ». Que pense en France le ministère de l’Agriculture de ces pratiques ? Il a présenté en septembre un plan d’action face à la hausse du prix des céréales. Ses axes prioritaires : l’arrêt provisoire du développement des agrocarburants et la mobilisation du G20 pour « assurer une bonne coordination des politiques des grands acteurs des marchés agricoles » Des annonces bien vagues face à l’ampleur des enjeux : qui sont ces « grands acteurs des marchés agricoles » ? S’agit-il d’aider les populations rurales des pays pauvres à produire leurs propres moyens de subsistance ou de favoriser les investissements de l’agrobusiness et des fonds spéculatifs sous couvert de politique de développement et de lutte contre la malnutrition ? Les dirigeants français préfèrent regarder ailleurs, et stigmatiser l’immigration.

Nadia Djabali, avec Agnès Rousseaux et Ivan du Roy

Photos : © Eric Garault

Notes

[1] « En octobre 2009, LDC Bioenergia de Louis Dreyfus Commodities a fusionné avec Santelisa Vale, un important producteur de canne à sucre brésilien, pour former LDC-SEV, dont Louis Dreyfus détient 60% », indique l’ONG Grain.

[2] Le groupe Louis Dreyfus ne publie pas de résultats détaillés. Il aurait réalisé en 2010 un chiffre d’affaires de 56 milliards d’euros, selon L’Agefi, pour un bénéfice net de 590 millions d’euros. La fortune de Margarita Louis Dreyfus, présidente de la holding, et de ses trois enfants, a été évaluée par le journal Challenges à 6,6 milliards d’euros.

[3] Dans Le Nouvel Observateur.

[4] L’ONG Oxfam a publié en août 2012 un rapport (en anglais) décrivant le rôle des ABCD.

[5] Selon Oxfam, au cours des dix dernières années, une surface équivalente à huit fois la superficie du Royaume-Uni a été vendue à l’échelle mondiale. Ces terres pourraient permettre de subvenir aux besoins alimentaires d’un milliard de personnes.

[6] D’après les ONG Global Witness, Save My Future Foundation (SAMFU) et Sustainable Development Institute (SDI).

[7] Source : Rapport des Amis de la Terre Europe.

[8] Sena Holdings Ltd, via sa filiale brésilienne Açúcar Guaraní.

[9] Une autre coopérative agricole, Vivescia (Ex-Champagne Céréales), spécialisée dans les céréales, investit en Ukraine aux côtés Charles Beigbeder, fondateur de Poweo (via un fonds commun, AgroGeneration). Ils y disposent de 50 000 hectares de terres agricoles en location.

[10] La liste des entreprises françaises dans l’accaparement des terres n’est pas exhaustive : Sucres & Denrée (Sucden) dans les régions russes de Krasnodar, Campos Orientales en Argentine et en Uruguay, Sosucam au Cameroun, la Compagnie Fruitière qui cultive bananes et ananas au Ghana…

[11] Emprise et empreinte de l’agrobusiness, aux Editions Syllepse.

L’accaparement des terres sévit au Mali, alors que se prépare le Sommet France-Afrique

Massa Koné (Campagnes solidaires) origine de l'article :

 

(...) Massa Koné, un responsable de l’Union, organisation luttant au Mali pour la défense des droits des nombreux paysans expulsés de leurs terres, témoigne.

 

Comment la terre est-elle gérée au Mali ?

Massa Koné - Au Mali, 80% de la population est paysanne et, même si le gouvernement refuse de la prendre en compte, l’agriculture paysanne représente 45% du PIB et nourrit à 65% le pays.

 

Aujourd’hui, la terre est à 85 % administrée par le droit coutumier, via les chefs de terre et de village. Plus une famille est grande, plus elle a de terres. La surface correspond aux besoins et à la capacité de la famille à l’exploiter. La terre n’est pas un moyen de spéculation : il est impossible de la vendre ou de la louer.

 

Dans un fonctionnement traditionnel, tout le monde y a normalement accès. Son usage est collectif, partagé entre l’agriculteur qui la cultive pendant les cinq à six mois de la saison des pluies, l’éleveur qui vient ensuite avec son troupeau manger les tiges et fumer le sol, et les femmes du village qui récoltent pendant la saison sèche les fruits des arbres, noix de karité ou autres.

 

Comment est-il alors possible que les paysans se fassent expulser de leurs terres ?

 

Il faut revenir à l’histoire du pays. Le droit coutumier perdure dans le temps mais n’a pas été matérialisé. Il a été respecté par l’administration coloniale, alors même qu’elle avait apporté et imposé son droit moderne et sa conception de la propriété privée. A l’indépendance, le régime communiste a banni la propriété privée et mis en place une législation domaniale, qui, tout en reconnaissant le droit coutumier, a rendu l’État seul « propriétaire » du foncier. A l’époque, nos parents ont applaudi, parce qu’ils pensaient encore que l’État, c’était le peuple.

 

Mais en 1968, le régime a été renversé. Quand, dans les années 80, il y a eu de grandes sécheresses, le Mali s’est engouffré dans la politique néolibérale imposée par la Banque mondiale et le FMI à travers son programme d’ajustement structurel. Nous sommes alors devenus ultra-dépendants, les entreprises d’État ont été bradées et ça a été le début de la montée d’une « petite bourgeoisie » (1).

 

Après les grèves et la révolution de 1991, la 3ème République a mis en place la décentralisation, avec la création des communes et le développement des territoires. Des nouvelles lois sont apparues, favorisant l’entreprenariat. Les maires ont créé des agences immobilières avec l’instauration de titres fonciers. En s’octroyant ou vendant des titres, ils volaient la terre aux paysans, transformée en hypothèques auprès des banques afin que les nouveaux « petits bourgeois » puissent emprunter.

 

En 2002, un décret donnant la possibilité aux maires d’expulser des paysans a même été voté pour ratifier le phénomène. Et ceci, malgré une loi toujours en vigueur qui reconnaît le droit coutumier. C’est dans ce contexte de contradictions terribles et d’urbanisation galopante que les « déguerpissements » (expulsions) ont commencé, en particulier en périphérie des villes.

 

 

Aujourd’hui, on parle de plus de 800 000 hectares accaparés au Mali par des investisseurs. Comment a évolué le phénomène et quelles ont été les conséquences pour les paysans ?

 

Une zone immense de terres fertiles et irrigables existe dans le delta du Niger. Datant de la colonisation, le barrage de Markala permet d’irriguer deux millions d’hectares. A l’indépendance, ces terres ont été nationalisées et l’Office du Niger a été créé, véritable « grenier à riz » du pays. Or, dans les années 2000, sous l’incitation de la Banque Mondiale, le Mali a sauté sur cette l’occasion pour mettre les terres de l’Office du Niger sur le marché international.

 

En signant des baux emphytéotiques auprès du gouvernement malien, des gouvernements ou multinationales déguisés en opérateurs économiques investissent les terres maliennes pour mettre en place des cultures d’exportations : agrocarburant, blé, pomme de terre...

 

Du jour au lendemain, les terres sont bornées et on vient dire aux paysans qu’ils n’ont plus accès à leurs champs. Des engins débarquent et commencent à aménager la zone, détruisant les maisons et villages qui gênent... Et à part quelques rares cas, il n’y a ni relogement, ni dédommagement, ni rétribution de terres.

Comment les paysans se sont-ils organisés pour faire face ?

 

Les paysans n’ont pas renoncé. Pour eux, la terre, c’est leur identité, leur vie et la survie de leurs enfants. Mais faire face aux investisseurs, c’est aussi faire face aux forces de l’ordre. On a vécu des moments extrêmes. Des hommes ont été battus à mort, des femmes ont avorté sous les coups des gendarmes, et des centaines de paysans ont été emprisonnés.

 

Ces événements n’étant pas médiatisés, nous avions l’impression d’être isolés dans notre détresse. Nos premières actions ont été de saboter les machines, ça nous donnait l’impression d’agir concrètement et nous aidait à décharger notre colère. Mais très vite, on a compris qu’il fallait s’organiser et monter manifester au cœur de la capitale, parce que les décisions sont prises à Bamako.

 

Les paysans des campagnes se sont constitués en groupements et ont convergé vers les associations de victimes d’expulsion des zones urbaines et péri-urbaines. Nous avons alors créé l’Union pour amplifier la lutte.

 

Nous avons organisé des forums pour connaître les problèmes de chacun, construit des revendications communes et organisé des grandes marches à Bamako pour montrer la force de notre résistance. Le gouvernement a vite compris qu’il fallait négocier avec nous. Sous la pression, il a mis en place une commission interministérielle spécifique au foncier, et l’Union a soumis un mémorandum dressant l’inventaire de tous les litiges rencontrés.

 

Plus tard, avec des associations de la société civile et des organisations paysannes, nous avons lancé la Convergence malienne contre les accaparements de terre, afin de peser plus fort encore. Fin 2011, avec les menaces qui s’accentuaient au Nord, ne pouvant pas se permettre de laisser éclater une révolution issue des paysans, le gouvernement a commencé à régler certains de nos problèmes, ce qui a fait fuir des multinationales chinoises et sud africaines. Certaines ont même porté plainte contre l’État.

 

Gonflés d’espoir par ces victoires, nous sommes les derniers à avoir manifesté à Bamako avant le coup d’état de mars 2013. Ces événements sont venus bouleverser notre combat, mais quel que soit le gouvernement en place, la stratégie est la même et on continue de leur mettre la pression en créant un vrai rapport de force.

 

Comment faites-vous face aux emprisonnements, aux procès, à la justice ?

 

Actuellement, au sein de l’Union, nous avons plus de 150 dossiers en justice ! On a bien été obligés d’être confrontés aux tribunaux, comment faire autrement ? La lutte politique s’accompagne forcément de la lutte juridique. Bien sûr, ça n’a pas été facile, surtout dans un milieu traditionnel et majoritairement analphabète, où la tradition orale pèse fort.

 

On s’est formés au droit sur le terrain de la lutte, il a fallu apprendre à ne plus avoir peur des « papiers », à les conserver et à les utiliser comme preuves. Apprendre aussi à démystifier l’appareil judiciaire. Nous sommes obligés aussi de se défendre par nous-mêmes parce que nous n’avons pas les moyens de payer les services des avocats et juristes. Un avocat proche de notre cause nous aide bénévolement, mais aujourd’hui, il est submergé par nos demandes.

Quels sont les objectifs et les projets de l’Union ?

 

Les objectifs sont de récupérer les terres accaparées, de se faire dédommager des préjudices subis, et de faire en sorte que nos terres soient immatriculées tout en continuant à être régies par le droit coutumier. Parce qu’on sait maintenant qu’il ne faut pas se laisser leurrer par le piège que constitue la propriété privée.

 

Grâce aux amis paysans de la Conf’, j’ai entrepris des études de droit pour devenir juriste, parce que nous devons être capables de nous défendre sur tous les fronts. La découverte du Comité d’action juridique en Ardèche a aussi été décisive (2).

 

Au sein de l’Union, nous souhaitons mettre en place un CAJ parce que son fonctionnement et l’esprit dans lequel il a été pensé correspondent à nos besoins et attentes. Nous ne pouvons pas laisser nos droits aux seules mains des universitaires qui ne connaissent pas nos réalités, ni cautionner le fait que les plus démunis deviennent victimes à cause de leur ignorance. Nous devons les former, les accompagner à revendiquer leurs droits et à en acquérir de nouveaux. Et pour cela, nous devons réveiller les consciences.

 

- Propos recueillis par Fanny Métrat, paysanne en Ardèche

 

L’Union des associations et coordinations d’associations pour le développement et la défense des droits des démunis au Mali

 

Plus communément appelée « l’Union », l’organisation représente à ce jour le plus grand mouvement de lutte du pays, elle est membre du réseau international No Vox, les Sans Voix.

 

Depuis notre rencontre en novembre 2011 à Nyéléni lors du forum organisé par la Via campesina pour dire non aux accaparements de terres, nous sommes restés en lien. Nous avons organisé sa venue cet été en France afin de faire connaître son combat, de lui faire découvrir le nôtre et de réfléchir ensemble à la construction de projets communs.

 

Massa a participé aux journées d’été des Amis de la Conf’ sur le Larzac, au festival Africajarc dans le Lot et à diverses rencontres en Ardèche avec les paysans de la Confédération paysanne et les représentants du Comité d’action juridique.

 


 

Notes

 

(1) Dixit Thomas Sankara, président du Burkina Faso, assassiné en 1987.

 

(2) Un Comité d’action juridique est une association de bénévoles et de permanents qui apporte un appui juridique et humain aux ruraux dans une démarche participative et militante.

 


Source : Campagnes solidaires n°289. Article aimablement prêté par Campagnes solidaires.

 



tinsmar a dit :

Origine de l'info :

Afrique : l’accaparement des terres s’intensifie

Sur tous les continents, des dizaines de millions d’hectares de terres sont vendus à des investisseurs étrangers ou nationaux pour produire leur propre alimentation ou leur énergie (biocarburants). Plus de 60% des transactions se font en Afrique au détriment des paysans et de la sécurité alimentaire des pays. Comment s’explique ce phénomène ? Qui sont les investisseurs ? Y a-t-il des solutions pour l’enrayer ?

Invités :

- Mathieu Boche, doctorant au Cirad, étudie les acquisitions foncières à grande échelle et leur impact

- Antoine Bouhey, chargé de mission Souveraineté alimentaire pour l’association Peuples Solidaires

- Ibrahima Coulibaly, président de la CNOP, la Coordination des Organisations Paysannes du Mali

- Zakaria Sambakhé, membre du CNCR, le Conseil sénégalais de concertation et de coopération des ruraux

Pour en savoir plus sur :

- Le phénomène de l’accaparement des terres dans le monde :
http://landportal.info/landmatrix ; http://planete-a-vendre.arte.tv/

- le forum sur les agricultures familiales de Dakar :
http://www.alimenterre.org/breve/forum-a-dakar-exploitations-familiales-nourrissent-lafrique-louest

- les enjeux de l’accaparement des terres au Mali :
http://www.alimenterre.org/mali

- Un mal qui s’installe Mauritanie 
http://farmlandgrab.org/mauritanie  
L’attribution par Conseil des ministres d’une superficie de 31.000 ha des terres agricoles de la Vallée à la firme saoudienne Al Rajihi, soulève ces jours-ci la colère des populations locales et la vive réaction de l’élite nationale. 
 
- Accaparement des terres à Madagascar : la pression des investisseurs continue… 
<http://farmlandgrab.org/post/view/23145>  
Ces projets d’investisseurs sont toujours présentés aux populations rurales comme des projets de développement alors qu’ils ont des conséquences irrémédiables sur leur accès à la terre et sur leur environnement, détruisent les fondements de leurs sources de revenus et de leur organisation sociale.

HOLD-UP 
SUR
L’ALIMENTATION


Comment les sociétés transnationales
contrôlent l’alimentation du monde,
font main basse sur les terres
et détraquent le climat

Paru fin 2012, le livre de l'organisation GRAIN tente d'apporter un éclairage sur ces sociétés transnationales qui contrôlent l'alimentation du monde, qui font main basse sur les terres (sujet traité ici) et détraquent le climat.

Il montre notamment comment ces grands groupes parviennent à mettre la main sur les système de production et de distribution tout en détruisant les systèmes alimentaires locaux.

 le télécharger  gratuitement au format PDF.

Il est aussi possible de le commander au format papier sur http://www.grain.org/fr

Des paysans dénoncent l'accaparement de leurs terres par Bolloré
En Afrique et en Asie, des paysans entament des actions contre le groupe Socfin, une holding luxembourgeoise dont l'actionnaire principal est Bolloré.

Origine de l'Info :


Vincent Bolloré, via la holding Socfin, possède de nombreuses plantations d'hévéas et de palmiers à huile en Asie et en Afrique. Vincent Bolloré, via la holding Socfin, possède de nombreuses plantations d'hévéas et de palmiers à huile en Asie et en Afrique. © AFP

Des paysans africains et asiatiques ont annoncé mercredi le lancement d'une série d'actions contre l'"accaparement" de leurs terres par une holding dont l'actionnaire principal est le groupe Bolloré. "Les paysans privés de leurs terres lancent une série d'occupations sur les plantations Socfin au Cameroun, au Liberia, au Cambodge et en Côte d'Ivoire qui va durer jusqu'aux assemblées générales des groupes Socfin (27 mai) et Bolloré (4 juin)", prévient dans un communiqué l'Alliance internationale des riverains des plantations Socfin Bolloré. La première action est prévue jeudi dans la plantation camerounaise de Dibombarri. Pendant trois jours, "nous allons bloquer l'usine, les bureaux administratifs et empêcher l'embauche des ouvriers de la plantation", avant de répéter l'opération dans six autres plantations camerounaises, a expliqué à l'AFP Emmanuel Elong, président de l'Alliance.

La Socfin, holding luxembourgeoise dont le capital est détenu à 39 % par Bolloré, possède des plantations de palmiers à huile et d'hévéas dans plusieurs pays africains ainsi qu'en Indonésie et au Cambodge. L'expansion de ces plantations est "continue" depuis 2008, affirme l'Alliance des riverains, citant une hausse d'un quart des surfaces cultivées par la société en Afrique entre 2011 et 2014. "Ces expansions provoquent de graves conflits avec les populations riveraines qui sont privées de terres et voient leurs conditions de vie sans cesse se dégrader", dénoncent les riverains, qui ont créé l'Alliance en 2013 après avoir été mis en relation par l'ONG française ReAct.

"Mauvais traitements"

L'organisation dénonce un "accaparement aveugle ne laissant aux riverains aucun espace vital", la "faiblesse des compensations", une "réduction forte (...) des contributions au développement social des villages contrairement aux bonnes intentions affichées", ainsi que des "mauvais traitements" infligés aux habitants par des "gendarmes commandités" ou des employés de gardiennage privés.

Le groupe "Bolloré avait accepté d'entamer un processus de négociation", avec de premières discussions à Paris en octobre, mais les "actionnaires belges historiques de la Socfin ont repoussé cette volonté d'apaisement", explique le communiqué. Bolloré a "finalement fait marche arrière et s'est aligné à la position dure des Belges", affirme le texte.


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