Pour une démocratie directe locale
Face à la mutation sociétale en cours : l'élévation de nos démocraties
La Démocratie est en crise dans nos sociétés occidentales. Cet air est chanté sur tous les tons par un très grand nombre d'observateurs de toute spécialité et de toute tendance. La désaffection vis-à-vis du militantisme, aussi bien politique que syndical, l'absence de véritable débat, la distance entre les décideurs et les citoyens, le retour à la sphère privée, le caractère fantoche des assemblées délibératives, les élections "spectacles", la langue de bois, la corruption…, entre autres, sont autant de signes de cette crise. Face à cela, se développe ici ou là l'idée que la solution serait à rechercher dans une démocratie participative, où les citoyens pourraient intervenir directement dans l'élaboration des décisions publiques par l'intermédiaire d'associations.
I - Délégation – confiscation
II - Le non-choix électoral
III - La confiscation technocratique
IV - Une technostructure occulte
Cabinets et couloirs
Gestion contre l'intérêt général
V - L'illusion de la participation
Le présidentialisme associatif
Expertise et contre-expertise
VI - Délibération et contrôle populaires
La parole responsable
Le contrôle populaire
Je ne vais pas trancher en faveur de l'une ou l'autre de ces conceptions. Je vais plutôt revenir aux principes mêmes de la démocratie pour montrer que le système
représentatif est nécessaire mais insuffisant pour qualifier un régime de
démocratique et que la voie participative, telle qu'on l'entend aujourd'hui, risque d'aggraver encore la situation.
Je serais donc amené en conclusion à tracer grossièrement quelques pistes qui permettraient, deux siècles après la Révolution, à nous faire progresser vers la démocratie.
Pour pouvoir dire qu'il y a crise de la démocratie
encore faudrait-il que l'on soit en démocratie.
Or, dès les premiers pas de la Révolution, un certain nombre d'auteurs énoncent l'idée, reprise par d'autres depuis, qu'il faut distinguer un système politique représentatif et la démocratie. Non seulement l'élection n'est pas la garantie de la démocratie, mais elle peut même l'assassiner. Cette affirmation peut paraître une provocation pour beaucoup. Ne considère-t-on pas aujourd'hui que le premier geste démocratique dans un pays est d'organiser des élections libres? Justement, les exemples sont nombreux pour montrer qu'il y a dans ce geste un aspect plus
symbolique, voire hypocrite, qu'une marque concrète de la démocratisation.
Pour résumer l'argumentation de ces auteurs,
que je reprends à mon compte, on peut dire que la délégation de souveraineté qu'implique la représentation aboutit
à une confiscation de pouvoir.
Il est possible de préciser cette formule en faisant trois constats :
Les représentants ne sont pas élus, mais se font élire.
Ce n'est pas seulement une subtilité de langage. L'électeur ne choisit pas son représentant, il vote pour un candidat déjà pré-sélectionné par des appareils
dont le caractère démocratique est très souvent contestable, selon des critères plus ou moins occultes. Le multipartisme qui pourrait faire contrepoids à ce défaut
est aujourd'hui réduit dans presque tous les pays à un bipartisme où le plus souvent il ne passerait pas une feuille de papier à cigarette entre les options politiques importantes des deux groupes en présence. La situation américaine qui a servi d'exemple est particulièrement éclairante en ce domaine, mais l'expérience française d'alternance des dernières années n'a pas vraiment été un contre-exemple. L'effet de cette situation c'est, aux Etats-Unis, un taux d'abstention dépassant les 50% et en France, un vote protestataire :
plus de 40% des voix se sont portées sur des candidats hors des "partis de gouvernement" aux dernières élections présidentielles. Il faut ajouter que tous les représentants n'ont pas le même poids. Les grands élus, autrement dit les personnalités politiques qui se font entendre et qui ont de véritables responsabilités, se font très souvent élire après avoir eu des responsabilités (la caste politique lance médiatiquement ou confie une responsabilité ministérielle à une personnalité qui va ensuite se faire "légitimer" démocratiquement en se présentant dans une circonscription ou une mairie taillée sur mesure).
Enfin, l'analyse socioprofessionnelle de ces personnalités politiques montre une grande homogénéité du recrutement. Inutile d'insister sur le nombre d'énarques. Certains auteurs, comme Bourdieu, parlent de "noblesse d'Etat", où l'élection sert en fait de paravent démocratique à une aristocratie républicaine qui, en fait, se coopte et se "reproduit".
Cette dernière observation nous conduit naturellement au deuxième constat.
III - La confiscation technocratique
Les instances délibératives ne sont plus, dans le meilleur des cas que des chambres d'enregistrement de décisions prises ailleurs par des organismes non représentatifs. La séparation des pouvoirs, inscrite dans la Déclaration des Droits
de l'Homme, se transforme en une concentration du pouvoir entre les mains de
technocrates sans le moindre mandat électif et hors de tout contrôle démocratique ; l'homme politique n'étant plus que le "commercial" chargé de promouvoir la décision auprès des médias. Et comme la technostructure souhaite que ce travail soit correctement fait, elle le prend en son sein. Et pour s'assurer qu'il ne prenne pas trop d'initiative, la langue de bois servira à cacher (mais en fait à révéler) que le responsable politique n'est que le porte parole, pas toujours au fait du dossier, qui a été étudié en dehors de lui. Si, par malheur la mesure prise tourne mal, la technostructure sera protégée et c'est l'homme politique qui sera responsable ou coupable, ou…le contraire…enfin bref, qui paiera.
Cette situation entraîne une autre déviation.
IV - Une technostructure occulte
Le pouvoir technocratique est déjà en soi une grave atteinte à la démocratie puisqu'elle met sur la touche les représentants du peuple et détourne la Haute Administration de sa fonction. Mais en plus, elle supprime le débat public et, enfin, elle dépolitise la réflexion sur les décisions d'ordre public.
Cabinets et couloirs
Il est inutile d'insister sur l'absence de délibération et de consultation démocratique lors de l'élaboration des décisions politiques prises dans le
secret des cabinets ou dans des tractations secrètes.
Non seulement cela consacre le pouvoir irresponsable de prétendus experts, mais laisse la porte ouverte à toutes les pressions des lobbies idéologiques ou financiers. La décentralisation n'a pas vraiment arrangé les choses (il est intéressant de voir la concomitance entre celle-ci et les explosions de ce qu'on appelle les "affaires").
Gestion contre intérêt général
La confiscationdu politique par des techniciens et des gestionnaires conduit à
n'envisager l'action politique que sous l'aspect gestionnaire (efficacité et rentabilité), négligeant totalement l'aspect véritablement politique (le débat sur les finalités et la notion d'intérêt public). Ainsi, la réforme de la "Sécu" n'est envisagée qu'en termes d'équilibre budgétaire, les privatisations en terme de prix de vente ou de choix des acheteurs.
Et même la suppression du service militaire, qui pourtant remet en cause l'un des principes fondamentaux de la République, n'a été traitée, pour les uns, comme un moyen de réduction des dépenses publiques, et, pour les autres, comme un manque à gagner économique et financier pour les communes privées de caserne ou de commandes militaires.
Le constat est sévère mais à la mesure du désenchantement de nombreux citoyens. Et le danger est réel. Cette confiscation et cette absence de transparence conduisent certains à la violence plus ou moins spontanée pour enfin se faire entendre (voir les événements affligeant à Cayenne récemment et plus généralement la situation dans les banlieues ou les manifestations de certaines catégories socioprofessionnelles) et poussent d'autres dans les bras de l'extrême droite. Sans parler de la démobilisation politique du plus grand nombre, spectateurs impuissants d'une dégradation de la société dont ils tentent de se protéger par des pratiques égoïstes.
La participation associative est-elle une réponse ?
Rien n'est moins sûr.
V - L'illusion de la participation
Il semble évident que l'intervention des citoyens au plus près de leurs préoccupations, sans la médiation des élus, peut apparaître comme une avancée vers une démocratie plus directe. La réalité est tout autre. Non seulement, il y a des limites à cette vision mais un examen réaliste de cette pratique permet de faire apparaître les mêmes défauts que le système précédent, parfois aggravés.
On peut d'ailleurs reprendre les trois thèmes étudiés plus haut : le
problème de la représentativité, le caractère technocratique et le détournement de l'intérêt général.
Le présidentialisme associatif
Il est illusoire de penser que la vie associative est une expression directe des
citoyens. Là aussi la parole des associations est celle des responsables (Président ou bureau) dont la désignation n'offre souvent aucune garantie démocratique. C'est particulièrement vrai justement pour les associations d'intervention para-politique. Crées par un individu ou un groupe d'amis qui ensuite font de la retape pour avoir des troupes, il serait inconcevable et même inélégant de remettre en cause le pouvoir des créateurs.
De plus, même si au sein de telle ou telle association, les règles démocratiques élémentaires sont respectées, elle ne saurait représenter que ses adhérents (souvent très peu nombreux) et non la population au nom de laquelle elle prétend parler (voir par ex. les associations de quartier). Un tel système reviendrait en fait à ce que les partis politiques parlent au nom des citoyens sans jamais qu'ils se présentent devant les électeurs.
Enfin, il ne faut pas négliger le fait que de nombreuses associations ne sont que des paravents de groupes d'influences idéologiques, politiques (y compris institutionnels : mairies, conseils généraux etc…), religieux, économiques ou financiers.
Expertise et contre-expertise
L'intervention des associations dans le débat politique tourne très souvent à la confrontation d'experts.
La nature même de ses associations
(souvent spécialisées dans un domaine) et la personnalité des responsables conduisent à contourner l'aspect politique (l'intérêt
général) pour se concentrer essentiellement sur la contestation technique et donc partielle de la décision concernée. La vision "généraliste", qu'au fond des élus politiques devraient avoir parce que traitant de tous les problèmes sur la longue durée, est remplacée très souvent alors par un affrontement d'experts. Leurs arguments d'autorité stérilisent le débat et dépossède le citoyen, qui ne peut évidemment pas trancher entre les affirmations contradictoires d'autorités techniques ou scientifiques aussi apparemment compétentes les une que les autres. A titre d'exemple, il serait intéressant de voir comment le débat sur le métro à Bordeaux s'est engagé entre les techniciens de la CUB et de Matra d'une part et transcub d'autre part. Sur des points essentiellement techniques pendant très longtemps, sans que les aspects complexes non seulement des
transports mais aussi de l'aménagement du territoire urbain ne soient vraiment traités, devant une population passive qui n'y a jamais vraiment compris grand chose.
Dérapage normal dans la mesure où, on l'a vu précédemment, le pouvoir étant entre les mains des technocrates, l'éventuel contre-pouvoir doit aussi se placer sur le même terrain.
Un débat éclaté
Le caractère ponctuel et limité (territorialement, professionnellement…) des associations présente un risque majeur :
l'affrontement de groupes de pression essentiellement préoccupés de faire valoir leurs intérêts particuliers. Le plus malin ou le plus puissant médiatiquement et/ou financièrement l'emportera, en dehors de toute préoccupation d'intérêt général et souvent sans la moindre consultation populaire.
Il y a là une saine pratique sociale de l'expression de tous les intérêts contradictoires mais une négation de la démocratie et même du politique en général, qui n'est pas la somme des intérêts particuliers mais la confrontation des idées dans la recherche de l'intérêt commun.
Le risque
est donc grand de voir ainsi disparaître l'esprit civique et d'aboutir à un système de lobbies qui supprime tout débat public et démoralise (au sens de la morale) l'action publique, tous les coups étant permis pour emporter "le morceau".
Alors, sommes nous condamner à choisir entre la
peste et le choléra, et à nous réconforter en rabâchant la formule de Churchill : "la démocratie est le pire des systèmes à l'exception de tous les autres". Certainement pas, peut-être est-il souhaitable de ne pas s'attacher aux mécanismes de la démocratie mais d'en rappeler les principes et ne pas se bercer d'illusions utopiques.
VI - Délibération et contrôle populaires
Ce n'est pas demain que les cuisinières seront Présidentes ou que tous les articles de lois seront discutés par chaque citoyen avant leur mise en œuvre. Il faut donc admettre qu'il y a un gouvernement d'une part, et des débatteurs "professionnels"
(dont c'est la fonction exclusive momentanément et non pas le métier bien sûr), ce qu'on appelait justement des parlementaires. Mais, même le fait que ceux-ci soient élus ne suffit pas à garantir qu'ils s'exprimeront au nom de l'intérêt général.
Deux conditions s'imposent :
- le contrôle du pouvoir en exercice.
La parole responsable
En tout lieu, à tout instant et à tout niveau, les décisionsdoivent faire l'objet d'un débat public préalable. Le "parlementaire" (député, conseiller municipal…) doit s'expliquer devant ses électeurs et justifier ses votes. L'évolution de la presse, et en particulier le rôle dominant de la télé, ainsi que le caractère publicitaire des
élections, ont pratiquement supprimé le caractère public des débats politiques. Il appartient donc aux associations de susciter systématiquement ce débat ou ces explications. Plutôt que de vouloir se substituer aux élus, il convient d'avantage de
demander à participer aux débats et à être témoin critique des prises de position. Il y a, bien entendu diverses modalités pratiques qui permettraient d'avancer en
ce domaine, mais ce serait un peu long de s'y attarder maintenant.
Le contrôle populaire
Il est de tradition en France de se mobiliser éventuellement au moment de la décision, mais d'oublier ensuite de contrôler la pratique gouvernementale ou
administrative. Le respect de la loi, l'usage des fonds publics, la pratique concrète
de l'administration ou des entreprises, là est la véritable action démocratique.
Les atteintes aux libertés ou la dégradation de nos conditions de vie
sont plus dans le quotidien de l'administration publique
et de la gestion économique
que dans le vote des lois.
Là, les associationspeuvent exercer, non un contre-pouvoir, mais un cinquième
pouvoir, encore à inventer, le droit de regard et d'action juridictionnelle sur le (les) pouvoir. Une loi sociale, ou une convention collective, c'est bien, à condition
encore qu'elle soit appliquée partout. Ce contrôle au quotidien permettrait de combattre le secret et les abus de pouvoir, qui sont le plus souvent non spectaculaires, mais qui polluent gravement la vie sociale.
Un tout petit exemple pour illustrer. Depuis quelques années, des panneaux Decaux ont poussé devant tous les Lycées d'Aquitaine, sans la moindre utilité, or ni les syndicats d'enseignants ni les associations de parents d'élèves, confinés dans leurs "spécialités" n'ont demandé des comptes aux élus régionaux sur l'opportunité et le coût de ces panneaux.
Ce petit geste aurait permis de contrôler les dépenses publiques, aurait posé le
problème des priorités budgétaires, et mis à jour d'éventuels dessous de- table.
Le temps m'étant compté et ne voulant
qu'énoncer des constat et poser des pistes de réflexion je ne ferais aucune conclusion fracassante. Sinon reprendrais-je la formule de Maïakovski. Or, dans cette optique, les associations, au cœur du tissu social sont des acteurs éminemment politiques. Elles doivent donc prendre conscience, qu'au-delà de leur spécialité et de la défense légitime d'intérêts spécifiques elle doivent avoir à tout instant une posture politique, c’est-à-dire savoir se hausser en quelque domaine au niveau de l'intérêt général.
Texte d'origine Jean-Claude COIFFET
Vice-président du Cercle Condorcet de Bordeaux
Vues : 40
Balises :
Bienvenue dans
Pour une démocratie directe locale
© 2024 Créé par tinsmar. Sponsorisé par
Vous devez être membre de Pour une démocratie directe locale pour ajouter des commentaires !
Rejoindre Pour une démocratie directe locale