De véritables leurres démocratiques sont souvent agités par le pouvoir politique pour résoudre les contradictions entre les projets qu’il veut imposer et les choix de la société, particulièrement à propos d’innovations technologiques.
Ainsi, que ce soit pour la culture de plantes transgéniques, le tracé d’une autoroute, l’implantation d’un incinérateur, l’escamotage des déchets nucléaires, la dissémination des produits nanotechnologiques, etc…le gouvernement promet d’ “informer” le public et de le “consulter”.
Non seulement ces démarches interviennent presque toujours après que les décisions ont été prises mais elles ont peu à voir avec la “participation” promise.
Elles utilisent des arguments d’autorité (la parole unique des “experts”), ignorent la contradiction comme la pluralité des analyses provenant de savoirs non techniques.
Les élus eux-mêmes, incomplètement informés, ne peuvent faire écho qu’aux préoccupations portées par des groupes d’intérêt [1].
Pourtant, dès que les incertitudes sur l’intérêt et les conséquences des technologies sont importantes, ce qui est de plus en plus fréquent, les autorités devraient collecter et discuter les points de vue des simples citoyens, au-delà du cercle des experts statutaires.
Bien sûr, pour qu’il soit argumenté, l’avis des citoyens doit se nourrir des informations les plus complètes possibles. C’est pourquoi il faut définir une méthodologie permettant de recueillir les avis de citoyens “naïfs” (non spécifiquement impliqués dans la controverse) mais bien éclairés grâce à des informations complètes et contradictoires.
Les bases pour une telle procédure ont été proposées il y a 20 ans par le Danemark sous l’appellation “conférence de citoyens” (CdC) mais, malgré plusieurs dizaines de CdC recensées dans de nombreux pays, la méthodologie reste empirique et sujette à de larges variations.
Or, la crédibilité des CdC exige que des règles claires en garantissent l’objectivité et la pertinence.
C’est seulement à ce prix qu’on pourrait obtenir des parlementaires qu’ils prennent en compte les résultats des CdC au moment de faire les lois et règlements.
La conférence de citoyens combine une formation préalable (où les citoyens étudient) avec une intervention active (où les citoyens interrogent) et un positionnement collectif (où les citoyens discutent en interne, puis avisent).
Le prix à payer pour cet exercice démocratique est de le limiter à un petit nombre de personnes plutôt que de consulter la population entière.
Composée de personnes volontaires, mais après tirage au sort sur les listes électorales, la CdC apparaît aujourd’hui, et après de nombreuses expériences mondiales, capable de produire des avis précieux à l’usage des décideurs mais aussi des autres citoyens.
En effet, quel apport plus précieux pour tout un chacun dans le doute que les analyses produites par quelques uns qui sont absolument ses semblables ?
Et quelle meilleure garantie contre l’enkystement dans la fonction qu’un panel de citoyens renouvelé pour chaque consultation ?
Les observateurs des conférences de citoyens se sont étonnés de la capacité de personnes candides à délibérer sur des sujets complexes, en se dégageant des enjeux seulement locaux et immédiats pour proposer des solutions souvent ignorées par les spécialistes, et rarement entendues des instances politiques.
On est loin de l’hypothèse d’un “public irrationnel” qui serait incapable d’apprécier les effets réels de la technoscience…
Ainsi peut-on, le temps d’un essai d’humanité, transformer en citoyen responsable le gogo que nous sommes tous au jour le jour [2].
Pourvu qu’elles soient médiatisées, ces procédures améliorent aussi la compétence de toute la population et peuvent rétablir la confiance vis à vis des scientifiques et de leurs propositions.
Comment faire entrer ces procédures dans l’ordre juridique et politique, pour que les dirigeants, mieux informés des enjeux des technologies et des attentes de la population, puissent tenir compte de ces recommandations ?
À l’initiative de la Fondation sciences citoyennes (FSC), une méthodologie précise a été élaborée pour que des gens ordinaires puissent fournir des avis éclairés, permettant aux élus d’apprécier complètement une innovation avant d’en promouvoir l’usage.
Nous avons d’abord analysé des expériences internationales de CdC, puis nous avons défini des conditions pour que des profanes élaborent librement une position bien informée et représentative de l’intérêt commun.
C’est pour rompre avec l’ambiguïté de procédures variées s’autoproclamant “conférence de citoyens” que nous avons adopté la dénomination “convention de citoyens”, pour laquelle nous proposons aujourd’hui un projet législatif (consultable sur Internet à l’adresse http://www.sciencescitoyennes.org).
Selon ce projet de loi (fortement résumé ici) la sélection d’une quinzaine de citoyens, profanes par rapport au sujet en délibération et dénués de conflit d’intérêts, est effectuée au hasard mais en assurant une grande diversité ( sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, région d’origine, sensibilité politique…).
L’objectivité de la procédure est recherchée à la fois par cet échantillonnage, par une formation assurée hors de toute influence (anonymat des citoyens) et par le consensus obtenu sur le programme de formation, lequel est pourtant établi au sein d’un comité de pilotage riche d’opinions diverses.
Pour assurer le respect de la procédure, un comité d’organisation placé au Conseil économique et social ou au Parlement lance un appel d’offres pour l’organisation matérielle de la Convention, nomme le comité de pilotage, et publie des cahiers d’acteurs présentés par toute personne physique ou morale.
Le comité de pilotage comprend des spécialistes de la question posée représentant le pluralisme des opinions sur la question débattue et prend ses décisions par consensus.
Il établit le programme de formation des citoyens, reçoit les cahiers d’acteurs, et distribue une documentation comprenant les positions contradictoires dans cette controverse.
La première session de formation présente aux citoyens les connaissances disponibles, de la façon la plus neutre possible.
Puis, une seconde session présente la question en termes d’enjeux contradictoires. Un facilitateur, psychosociologue engagé par le comité qui est le seul interlocuteur permanent du groupe, assure le lien entre les citoyens et le comité de pilotage, sans intervenir dans l’objet du débat.
Après cette formation, les citoyens décident du contenu d’un débat public qu’ils dirigeront afin de compléter leur savoir (ils décident alors eux-mêmes des questions à traiter et des personnes à interroger).
Finalement, ils délibèrent pour établir leurs recommandations, soit par consensus, soit en rédigeant des opinions dissidentes.
Toute la procédure doit être filmée, à l’exception des moments de délibération, et les films sont accessibles au public.
De plus, toute convention de citoyens fait l’objet d’une évaluation par deux experts désignés par le comité d’organisation.
Afin de sortir des leurres démocratiques pour aller vers une véritable participation, les recommandations de la CdC doivent faire l’objet d’un débat parlementaire avec vote d’une résolution où toute divergence des élus avec les recommandations des citoyens devra être motivée.
Car la démocratie participative ne peut devenir crédible aux yeux des citoyens que si les élus prennent en compte les avis émis.
Pourtant, c’est seulement au prix de sa rationalisation que la procédure peut gagner en crédibilité, condition nécessaire à sa prise en compte politique.
Ainsi pourrait-on mieux faire fonctionner les institutions, et fournir aux élus un outil pour apprécier toutes les facettes d’une innovation avant d’en promouvoir l’usage.
Deux extensions de ce modèle seraient ultérieurement possibles.
On pourrait tenir simultanément plusieurs conventions de citoyens sur le même thème (par exemple avec un comité de pilotage dans chaque pays participant) et vérifier ainsi la convergence des souhaits des citoyens du monde, convergence qu’on peut supposer supérieure à celle de leurs responsables politiques respectifs...
L’autre extension serait thématique en élargissant le recours à ces procédures hors des controverses technologiques vers des thèmes éthiques ou même politiques.
C’est une véritable révolution des pratiques qui est en jeu avec cette formule pour démocratiser les décisions des élus .
Mais l’actualité est de passer le premier cap de cette utopie en faisant inscrire les CdC dans la Constitution, condition pour garantir leur prise en compte… et donc de convaincre les parlementaires que face à la complexité croissante des évaluations ils ne peuvent se suffire d’expertises incomplètes, souvent tendancieuses et peu conformes aux intérêts des populations.
Nous en sommes à ce cap et devons avouer le peu d’intérêt des parlementaires, à l’exception cependant du groupe très minoritaire des Verts .
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