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Vers un renouveau démocratique dans les quartiers populaires ?

Vers un renouveau démocratique dans les quartiers populaires ?

origine de l'article

Pour une réforme radicale de la politique de la ville (pdf/zip) site internet

 

Voici l’analyse, par Benjamin, d’un rapport commandé par le ministre chargé de la ville. Cette commande manifeste apparemment le souhait d’organiser la participation des habitants à la politique de leur commune.

Mais une organisation qui serait ainsi venue ”d’en haut” est-elle bien le moyen d’obtenir l’émancipation citoyenne des habitants d’un quartier ?

Sommaire  
  • Pouvoir d’agir : la démocratie (...)
  • La stratégie proposée
  • Émancipation et institutions
  • Les limites du rapport

En juillet dernier, Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué rendaient leur rapport sur la participation des habitants au ministre délégué chargé de la Ville, François Lamy.

Dans ce rapport, il est avant tout question du pouvoir d’agir des citoyens, un principe censé stimuler la démocratie dans les quartiers.

De par son titre, Pour une réforme radicale de la politique de la Ville, Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, le rapport affiche une ambition qui pourra paraître bien importante au regard des multiples tentatives passées pour associer les habitants aux projets et réformes dont ils devaient théoriquement être les principaux bénéficiaires.

Depuis maintenant plus de trente ans, la politique de la Ville, qui a toujours souligné en plus de leurs difficultés le potentiel et les ressources des “quartiers”, a développé le thème de la participation citoyenne sans toutefois atteindre son objectif.

Ces échecs à répétition, qui sont d’ailleurs rappelés dans la lettre de mission du ministre, puis dans l’introduction du rapport (ils justifient le « ça ne se fera plus sans nous » de la première page), appellent une explication.

Pouvoir d’agir : la démocratie réinventée ?

Comment expliquer, en effet, qu’une telle préoccupation institutionnelle débouche sur si peu de résultats ?

Dans un premier temps, on peut, bien sûr, s’interroger sur les possibles intentions cachées d’une telle volonté des politiques publiques d’associer les habitants à leur mise en œuvre.

C’est effectivement un souci “démocratique” qu’elles n’ont pas dans bien d’autres champs de leur intervention (pensons à la santé ou à l’éducation nationale).

Pour la ville, perçue par le pouvoir comme lieu de contestation et de mise en cause de l’autorité, les politiques publiques cherchent probablement à légitimer a posteriori, par un vernis démocratique (concertation, démocratie de proximité ou participative…), les décisions institutionnelles prises en amont.

C’est une première possibilité qui n’est pas évoquée par les auteurs du rapport.

M. Mechmache et M.-H. Bacqué reviennent sur la montée en puissance de ce thème de la participation, devenue une véritable injonction, et le développement progressif d’une véritable offre institutionnelle.

Ils passent notamment en revue les différentes lois qui prévoient la mise en place d’instances ou de procédures visant à associer les habitants aux politiques publiques territoriales, ils évoquent la diversité des expérimentations menées (« jurys citoyens, budgets participatifs, ateliers d’urbanisme, diagnostics en marchant, coproduction de projets de services publics, universités citoyennes »).

Selon eux, tous ces dispositifs ont en commun d’être des initiatives institutionnelles unilatérales : « la politique de la ville est restée une politique conduite et décidée par le haut ».

Voilà qui expliquerait leur échec.

En effet, « il ne suffit pas d’ouvrir des espaces institutionnels de participation pour qu’ils soient occupés ».

La dynamique participative institutionnelle ne suffit pas.

Pour qu’elle puisse fonctionner, encore faut-il que les habitants investissent les lieux de débat et de décision.

Là réside l’originalité de ce rapport, assurément moins caricatural que les précédents : il propose que la participation soit travaillée aussi par le bas et non plus seulement, comme par le passé, par le haut.

C’est un véritable parti pris stratégique : la demande citoyenne de participation n’est pas moins importante que l’offre institutionnelle.

Pour évoquer cette nouvelle configuration, les auteurs mobilisent la notion de pouvoir d’agir, traduction française de la notion anglo-saxonne d’empowerment.

Pour M.Mechmache et M.-H. Bacqué, l’empowerment à la française pourrait être défini comme « une démarche qui s’appuierait sur le pouvoir d’agir des citoyens, sur leur capacité d’interpellation et de création et permettrait de renouveler et de transformer les services publics et les institutions ».

La dynamique institutionnelle doit donc être complétée par une dynamique participative d’interpellation ou d’initiative qui devrait conduire les habitants à proposer des améliorations, voire à « contrôler les pouvoirs publics ».

Le pouvoir d’agir est la notion-clé du rapport (elle figurait d’ailleurs dans la lettre de mission ministérielle), elle en constitue la contribution majeure.

C’est elle qui permet aux auteurs d’avancer des propositions plus engageantes que les habituelles préconisations technocratiques.

Son principe est clair : il faut « articuler » les deux dynamiques, descendante et ascendante, pour « réinventer la démocratie ».

La stratégie proposée

Le rapport décline une stratégie pour atteindre cet objectif :

D’une part, créer un cadre favorisant l’initiative citoyenne et sa reconnaissance par les pouvoirs publics (c’est le développement de la demande de participation) ; ce premier axe correspond aux propositions générales suivantes :

• donner les moyens de l’interpellation citoyenne,

• soutenir la création d’espaces citoyens et les reconnaître : tables de quartier et plateforme nationale…,

• créer une fondation cogérée par les citoyens pour la solidarité sociale et créer les conditions du développement associatif,

• un enjeu transversal : changer le regard sur les quartiers populaires.

D’autre part, proposer un aménagement des instances de décision pour accueillir les habitants (c’est le développement de l’offre de participation), soit les propositions :

• faire des instances de la politique de la ville des structures de co-élaboration et de co-décision,

• une méthode : co-élaborer, co-décider, co-former.

Une longue discussion serait nécessaire pour évaluer l’intérêt des 30 propositions de détail qui en découlent et dont certaines nous paraissent effectivement intéressantes.

Nous nous en tiendrons ici à des remarques plus globale

Émancipation et institutions

Que penser de la stratégie proposée ?

 De manière générale, telle qu’elle est décrite, elle peut paraître alléchante.

En effet, les auteurs en appellent à une « participation qui aille au-delà de la communication ou de la concertation autour de projets et de politiques publiques, qui prenne en compte à la fois les enjeux de pouvoir, les inégalités et la conflictualité dans le débat démocratique, dans une perspective de transformation sociale ».

Plus loin, il est question « d’encourager l’autonomie de la société civile » ou encore de « changement social et d’émancipation ».

Ils donnent ainsi le sentiment de dépasser le vernis démocratique habituel et d’entrer dans l’épaisseur du politique avec la prise en compte des enjeux et des conflits de pouvoir.

Surtout, ils posent parfois les bonnes questions, par exemple :

« s’agit-il de remettre en cause la démocratie représentative ou de l’accompagner ?

(…) la nature des rapports que les habitants doivent nouer avec les élus et les administrations reste un autre point aveugle.

Doivent-ils être intégrés à la gestion ou la contrôler ?

Sont-ils des partenaires dans un dialogue ou les acteurs d’un contre-pouvoir ? ».

L’enjeu qui pointe au travers de ces interrogations est le rapport de dépendance, ou au contraire d’autonomie, qu’entretiennent les citoyens vis-à-vis des institutions administratives et de leurs dispositifs.

C’est, disons-le, le cœur du problème de la participation :

les citoyens peuvent-ils s’émanciper dans et par les institutions ?

Suffit-il que les habitants soient institutionnellement représentés pour que la démocratie soit effective ?

Autrement dit, les habitants, comme réalité politique, sont-ils solubles dans les institutions ?

Les limites du rapport

Une des principales limites du rapport est de poser plus ou moins explicitement ces questions en n’y apportant qu’une réponse implicite.

En proposant un empowerment institutionnalisé, M. Mechmache et M.-H. Bacqué multiplient les pré-supposés :

• Présupposé n°1 : les institutions administratives sont faites pour la co-construction et la codécision.

Selon ce premier présupposé, les structures de pouvoir (services décentralisés de l’État, Agence Nationale de Rénovation Urbaine, collectivités territoriales…) auraient, non seulement la faculté, mais aussi la vocation, de libérer les énergies populaires.

En réalité, ces institutions fonctionnent de manière éminemment hiérarchique à partir d’une source de légitimité unique (et à sens unique, de haut en bas) : un directeur, un président, un maire...

Elles sont certes amenées à collaborer entre elles, mais alors l’exercice partenarial est le plus souvent laborieux :les rapports de force sont patents.

Elles n’ont en tout cas pas été pensées pour le débat avec les habitants et le partage de la décision.

Les auteurs prennent l’exemple des comités de pilotage : voilà pourtant des instances administratives peu propices à la co-construction avec des administrés.

Bref, il ne suffit pas de s’inviter à une table administrative pour que notre voix soit prise en compte.

Les institutions ne sont pas des cadres neutres dont il faudrait simplement diversifier le contenu pour les démocratiser. Elles “pensent” de manière très structurée, codifiée, comme une langue. On ne les intègre pas impunément, sans sacrifier à leurs servitudes de fonctionnement. Cette réalité institutionnelle est fondamentalement étrangère à toute expression démocratique directe.

• Présupposé n°2 : le pouvoir d’agir débouche sur un consensus entre habitants et institutions (les auteurs évoquent « une politique d’égalité des territoires co-construite et co-décidée avec les citoyens »).

Ce présupposé élude toute éventualité de conflits politiques.

Or, si la prise en considération de la parole des habitants est si urgente, c’est que spontanément l’écart entre les administrations et la réalité vécue sur le terrain est parfois abyssal.

L’interpellation citoyenne risque donc de déboucher sur une confrontation (de diagnostic, de méthode, de réponses à apporter…) plutôt que sur une douce négociation.

Il faut s’attendre à des divergences de points de vue radicales et donc à des rapports de force que la tradition démocratique régule habituellement par le vote majoritaire.

Comment arbitrer si le pouvoir d’agir met en relation des dispositifs administratifs et des citoyens ?

Le poids des représentants d’habitants dépend de leur représentativité effective, souvent malaisée à mesurer.

Dans le rapport, aucune proposition ne prend en compte le cas de figure d’une mobilisation citoyenne jouant un rôle de contre-pouvoir.

• Présupposé n°3 : l’institutionnalisation de la mobilisation des habitants (via des mesures ministérielles) la renforcera.

Or l’expérience montre que cette mobilisation des habitants (mais aussi des travailleurs, des femmes, des minorités…), que le véritable empowerment se construit dans la lutte contre le pouvoir, non pas dans la participation.

C’est un processus sauvage, au sens de non domestiqué par l’institution.

On retiendra de ce point de vue la définition que le Larousse donne de l’émancipation : « action de s’affranchir d’un lien, d’une entrave, d’un état de dépendance, d’une domination, d’un préjugé ».

Outre la forme pronominale du verbe affranchir, l’idée générale est que l’émancipation est un processus de distanciation.

Finalement, ne serait-ce pas précisément vis-à-vis du pouvoir institutionnel que les habitants auraient à s’émanciper ?

N’y aurait-il pas, dans la réalité administrative, bureaucratique, quelque chose qui la rendrait aliénante pour les populations ?

Entre ces deux composantes, l’altérité n’est-elle pas irréductible ?

Il est, bien sûr, difficile pour un rapport ministériel de traiter le sujet sous cet angle dialectique, avec les incompatibilités qu’il suppose.

Ne demandons pas à l’État ou à l’Europe d’être démocratiques !

Tout dans leur fonctionnement s’oppose à la prise en compte de la base.

Mais ces questions sont fondamentales si l’on a l’intention de politiser habitants et communautés…

 

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