Pour une démocratie directe locale

Face à la mutation sociétale en cours : l'élévation de nos démocraties

La Véritable Démocratie

(un extrait choisi - parmi les nombreux possibles - de Castoriadis)

Sylvain Rochex, 31 octobre 2012

Voici un extrait du livre : « La Cité et les Lois »,un recueil de séminaires par Castoriadis (1983-1984).

 

Il faut, si l'on peut, lire TOUT castoriadis. Il démonte point par point tous les enfumages sur les 2 derniers siècles d'une part mais aussi sur l'ensemble des 25 derniers siècles après la chute de la démocratie athénienne.

 

Tous les textes castoriadiens se recoupent entre eux. Celui que j'ai choisi ci-dessous offre un assez bon résumé de bon nombre de points. Et d'une manière générale, le livre « La Cité et les Lois » est en lui-même un bon résumé des autres.

 

Cornelius Castoriadis

LA DÉMOCRATIE

 

Il s'agit du pouvoir du peuple et non celui de ses représentants

- l'idée de représentation politique, spécifique de la société et de l'aliénation d'aujourd'hui, est là totalement absente ;

ensuite, le peuple ne saurait être remplacé par les experts, qui sont certes reconnus comme tels dans leurs domaines respectifs, mais sans qu'ils puissent prétendre à une expertise politique générale, qui n'existe pas : il n'y a pas de science de la politique ou du gouvernement; enfin, il s'agit bel et bien de la communauté politique et non d'un État au sens moderne du terme, séparé de la société, qui lui fait face et la gouverne. 

Tout cela implique aussi que les membres de la communauté participent effectivement à l'activité politique. Non pas, bien-sûr, que 100% d'entre eux prennent part à tout instant aux délibérations ou aux décisions ; mais tout simplement qu'une majorité substantielle du peuple est présente et se manifeste activement chaque fois qu'il s'agit de délibérer et de décider.

Cette participation n'est pas un droit abstrait, mais une pratique effective ; et elle n'est pas laissée au hasard ou au bon vouloir des citoyens. C'est toute la vie de la cité, toute l'éducation des citoyens, la paideia pros ta koinal'éducation en vue des affaires communes, qui conditionne cette participation effective. Et cela est manifeste, dans la vie politique d'Athènes, pratiquement de la révolution de Clisthène à la fin de l'indépendance d'Athènes (bataille de Chéronée, domination macédonienne, etc.), c'est-à-dire à peu près pendant deux siècles. Parmi les composantes du dispositif qui rend possible cette pratique de la démocratie, il y a la création d'un espace public, (...), à savoir la publicité des affaires, par opposition radicale au secret - monarchique, étatique ou bureaucratique - (...), la création aussi d'un temps public, (...), par temps public, j'entends une mémoire qui, là encore, n'est pas la possession privée de prêtres, de fonctionnaires, du monarque ou d'une bureaucratie, mais est explicitement mise en commune et publiquement élaborée, (...).

 

Dès qu'il s'est institutionnalisé, le monde politique moderne, (...), a commencé par reconnaître les principes, les significations imaginaires politiques constitutives du monde grec, tout en affirmant que ces principes sont inapplicables dans les sociétés modernes. (...), il est absolument clair, en tout cas chez Ferguson, dans l'Essai sur la société civile, mais déjà avant chez Montesquieu, que la véritable démocratie signifie la participation de la communauté entière ; c'est évidemment aussi l'idée centrale de Rousseau. Et dans la mesure où une théorie libérale de la constitution politique s'élabore et prévaut à partir de la fin du XVIIIe siècle, elle s'appuie sur l'affirmation explicite de l'impossibilité de cette participation dans les sociétés contemporaine et sur l'acceptation de l'État comme distinct de la communauté politique, étranger à elle.(...) Cette philosophie politique se trouve face à une quadrature du cercle : on maintient un État séparé dont on essaie de limiter le pouvoir, on tient pour acquis que les citoyens ne peuvent ou ne veulent pas, sauf exception passagère, s'occuper des affaires publiques, et en même temps on prétend fonder là-dessus un régime qui se réclame de la souveraineté du peuple et qui se donne le nom de démocratie. On aboutit à l'autoorganisation de la société dite civile à travers le marché - la dimension essentielle de la société étant ici la dimension économique -, processus avec lequel la communauté politique devrait donc s'abstenir d'interférer.

 

La grande question de la démocratie, est de savoir qui fait la loi et comment.

Autrement dit, dans le langage de Rousseau, qui est le souverain. 

Réponse évidente : le peuple ; c'est « nous » qui faisons la loi, et c'est dans ce « nous » qui se trouvent impliquées l'égalité, la liberté et la communauté comme réalité concrète sans laquelle ce « nous » ne serait pas. (...) C'est en ce sens que la démocratie grecque antique instaure vraiment l'autonomie : en disant que la loi est faite par nous et pour nous, et en définissant ce nous comme la collectivité des citoyens libres, adultes, mâles, etc. (...) Il y a donc là, (...) auto-institution explicite de la société. Ce qui, bien entendu, pose immédiatement le problème des limites de cette auto-institution. (...) Nous pouvons tout faire ; mais évidemment, nous ne devons pas tout faire : c'est la question de l'autolimitation. Y répondent, d'abord, un certain nombre d'institutions formelles, dont j'ai donné un exemple avec la graphè paranomôn. (...) Il y a un extraordinaire développement à Athènes de ce que nous appellerions le pouvoir judiciaire, qui n'est qu'une autre forme du pouvoir que le peuple exerce aussi à travers l'agora et l'Ekklèsia. Il y a aussi des institutions qui, sans être politique au sens strict, apparaissent comme une réponse à cette question de l'autolimitation, en particulier la tragédie.

 

Tout cela sera étouffé par la contre-révolution platonicienne, et par la constitution, à sa suite, d'une philosophie politique qui va s'édifier en opposition frontale avec ce qui avait été créé au cours du VIe et du Ve siècle (avant J.C.).

 

(...) Ce choeur de l'Antigone de Sophocle où il est dit explicitement que c'est l'homme lui-même (c'est-à-dire l'humanité) qui invente, crée, pose les lois qui constituent les cités. (...) C'est la communauté qui forme l'individu tel qu'il va devenir. On reconnaît l'idée de la paideia explicité par Aristote, mais qui est là bien avant lui, pratiquement depuis toujours. (...) polis andra didaskeic'est la cité qui éduque l'homme, qui fait de lui un homme. (...) Chez les humains le nomos devient phusis, c'est-à-dire que leur nature, c'est ce qui leur a été imposé et inculqué par l'institution de la cité dans laquelle ils ont grandi.

 

(...) C'est bien évidemment à partir du moment où l'ont reconnaît, (...), cette autocréation de l'humanité, autoconstituante et auto-instituante, que la question du nomos et de la doxasurgit avec toute sa profondeur. Il n'y a plus lieu, alors, de penser à une naturalité ou à une quelconque origine divine ou transcendante des dispositions qui règlent la vie sociale des êtres humains : tout cela, c'est du nomos ; et quant aux vues de ces mêmes humains sur le monde, c'est de la doxa, de l'opinion.

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Commentaire de tinsmar le 27 juin 2014 à 12:01

Castoriadis, philosophe de l’autonomie et précurseur de la décroissance

DIDIER HARPAGÈS (REPORTERRE) jeudi 26 juin 2014

origine de l'article

Cornelius Castoriadis ou l’autonomie radicale, par Serge Latouche, présente l’oeuvre de ce penseur du 20e siècle qui a fait le passage entre marxisme et écologie. « L’écologie est subversive, car elle met en question l’imaginaire capitaliste qui domine la planète (...) » et « montre l’impact catastrophique de la logique capitaliste sur l’environnement naturel et sur la vie des êtres humains. »


Toujours sur la brèche, Serge Latouche dirige depuis 2013 la collection Les précurseurs de la décroissance éditée par Le Passager Clandestin (1). Déjà auteur de son premier titre, Jacques Ellul, contre le totalitarisme technicien, il propose, en ce printemps 2014 : Cornélius Castoriadis ou l’autonomie radicale.

Cornélius Castoriadis est né en 1922 à Istanbul, passe son enfance à Athènes, s’engage très jeune dans le mouvement communiste et gagne la France en décembre 1945. Il fut philosophe, sociologue, économiste et psychanalyste. Il décèdera à Paris en 1997. Adhérent du parti communiste internationaliste, il créa dès 1946, en compagnie de Claude Lefort, la revue mythique Socialisme ou Barbarie.

De la psychanalyse à l’autonomie puis à la démocratie directe

Intéressé puis passionné par l’œuvre de Freud, il fréquente les milieux psychanalytiques de Paris, et entreprend, dans les années soixante, une analyse. Le passage par la psychanalyse ne répond pas exclusivement à une motivation personnelle ; il s’en saisit également pour remettre en cause l’édifice théorique de Marx. Ce double processus lui permettra de redécouvrir l’importance de l’imagination chez l’individu ainsi que celle de l’imaginaire social et historique, élément fondateur des institutions indispensables aux sociétés humaines.

Dès lors, la psychanalyse contribuera à l’émergence de l’autonomie de la pensée et subséquemment de l’autonomie en politique. Selon Castoriadis, une psychanalyse bien comprise permet à l’individu de tenter l’organisation d’une vie personnelle plus libre, plus autonome, c’est-à-dire une vie qui se donne à elle-même ses propres lois (autos nomos).

Castoriadis ajoutera que nous avons besoin d’un individu autonome pour faire le lien avec le politique : « Une société autonome ne peut être formée que par des individus autonomes. Et des individus autonomes ne peuvent vraiment exister que dans une société autonome », laquelle définira, à son tour, ses propres lois.

En l’absence d’une cure psychanalytique collective, c’est une véritable paidéia, une éducation désinstrumentalisée, aux vertus morales nécessaires à l’exercice de la citoyenneté, une éducation « pour l’autonomie, vers l’autonomie », éloignée « des âneries diffusées par la télévision », qui conduira l’individu à s’interroger sur le sens de son action, sans céder à la passion ou au préjugé. En clair, émanciper l’être humain sans l’émanciper de la société.

L’éclosion de la démocratie directe se réalisera donc sous l’impulsion conjuguée de l’autonomie individuelle et de l’autonomie collective. Pour Castoriadis, la démocratie représentative, à l’origine d’une regrettable apathie politique d’un nombre grandissant d’électeurs, est un oxymore. Le gouvernant ne s’éloigne-t-il pas du gouverné ?

Il répond à cela : « Je peux dire que je suis libre dans une société où il y a des lois, si j’ai eu la possibilité effective (et non simplement sur le papier) de participer à la discussion, à la délibération et à la formation de ces lois. Cela veut dire que le pouvoir législatif doit appartenir effectivement à la collectivité, au peuple. »

Dès l’époque de Socialisme et Barbarie, remarque Serge Latouche, Castoriadis définit le Socialisme « comme gestion ouvrière de la production et comme gestion collective de toutes les activités sociales par tous ceux qui y participent. »

Cependant, pour accéder à l’autogestion, il faudra également s’en prendre à la neutralité de la technique, ce que n’avaient pas fait les marxistes. Cornélius Castoriadis ne mâche pas ses mots : « L’autogestion d’une chaîne de montage par les ouvriers de la chaîne est une sinistre plaisanterie. Pour qu’il y ait autogestion, il faut casser la chaîne. »

Ainsi, l’autonomie individuelle et collective, l’autogestion, omniprésentes dans le dispositif de Cornélius Castoriadis, doivent favoriser la revitalisation de la démocratie locale chère aux objecteurs de croissance.

L’écologie est subversive

L’examen critique de la technique amène tout naturellement Castoriadis à dénoncer le productivisme et la croissance. En raison du culte de l’exploit scientifique propice à l’autonomisation de la technoscience, laquelle se moque des véritables besoins humains, il s’interroge sur le progrès du savoir scientifique :

« Nous voulons une expansion libre du savoir mais nous ne pouvons plus prétendre ignorer que cette expansion contient en elle-même des dangers qui ne peuvent pas être définis par avance. Pour y faire face, il nous faut ce qu’Aristote appelait la phronésis, la prudence. » (2)

Incontestablement, ce point de vue oriente clairement Castoriadis sur la voie de l’écologie politique radicale. Selon lui, « l’écologie est subversive, car elle met en question l’imaginaire capitaliste qui domine la planète. Elle en récuse le motif central selon lequel notre destin est d’augmenter sans cesse la production et la consommation. Elle montre l’impact catastrophique de la logique capitaliste sur l’environnement naturel et sur la vie des êtres humains. »

Dès lors, l’imposture de l’économie de croissance et de développement est sévèrement dénoncée. Le développement comme le progrès, l’expansion sont, aux yeux de Castoriadis, des propriétés spécifiques des sociétés occidentales. « Ainsi l’Occident se pensait et se proposait comme modèle pour l’ensemble du monde. » Un modèle qui, pour s’imposer, bouleversa l’imaginaire des hommes demeurés, jusque-là fort heureusement, à l’écart de la modernité.

Néanmoins, tout fut minutieusement organisé pour que ceux-ci consentirent enfin à modifier leur propre organisation psychique, pour être « en voie de développement » dès que leurs pays emboitèrent le pas des économies occidentales.

Sortir du capitalisme

Si, pour Castoriadis, la révolution doit pouvoir s’accomplir sans effusion de sang, cependant, précise-t-il, « il faut que des changements profonds aient lieu dans l’organisation psychosociale de l’homme occidental, dans son attitude à l’égard de la vie, bref dans son imaginaire. »

Toutefois, il est bien conscient que la décolonisation de l’imaginaire sera un travail de longue haleine. Chez Castoriadis, l’être humain doit avoir la volonté d’être libre et de mettre en « œuvre une praxis, une praxis réflexive et délibérée qui permet de réaliser cette liberté ». La liberté, c’est l’activité qui simultanément s’autolimite. Ainsi, l’homme sait à la fois qu’il peut tout faire mais qu’il ne doit pas tout faire.

Scandalisé par le saccage de la planète, Castoriadis pensait que les hommes, aujourd’hui, devraient en être les jardiniers. La cultiver pour espérer donner un sens à leur existence. Appelant de ses vœux l’avènement d’un écosocialisme (3), authentique rempart contre la montée possible de l’écofascisme, Serge Latouche rejoint de la sorte Cornélius Castoriadis en le citant une dernière fois :

« L’écologie peut très bien être intégrée dans une idéologie néo-fasciste. Face à une catastrophe écologique mondiale, par exemple, on voit très bien des régimes autoritaires imposant des restrictions draconiennes à une population affolée et apathique. L’insertion de la composante écologique dans un projet politique démocratique radical est indispensable.


Et elle est d’autant plus impérative que la remise en cause des valeurs et des orientations de la société actuelle, impliquée par un tel projet est indissociable de la critique de l’imaginaire du "développement" sur lequel nous vivons. »

Commentaire de tinsmar le 12 mai 2014 à 15:25

Castoriadis : Pourquoi vous n'êtes pas en démocratie

Commentaire de tinsmar le 12 mai 2014 à 15:22

""Les magistrats ne sont pas élus, ils sont tirés au sors où tournent à tour de rôle." "Tout le monde est capable de gouverner" "la politique n'est pas l'affaire de spécialistes, car il n'y a pas de science de la politique." "les opinions se valent" "Les activités de spécialistes sont sujets aux élections." "Élections des meilleurs" "la démocratie est une affaire éducationnelle des citoyens qui n'existe pas aujourd'hui". "Des spécialistes aux services des gens et des gens apprenant à gouverner en gouvernant !" Voilà une vraie démocratie. "

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