L’Europe tout entière s’enferre dans des politiques non-coopératives d’austérité et de compétitivité. Qu’il s’agisse de redresser les finances publiques ou de réduire les déséquilibres du commerce extérieur, la pression est mise essentiellement sur les salariés et les ménages. En France, cette « stratégie » d’austérité-compétitivité s’est traduite par le crédit d’impôt de 20 milliards d’euros par an accordé aux entreprises, le paiement de ce cadeau par les nouveaux prélèvements opérés sur les ménages (10 milliards en plus en 2014), la promesse faite aux entreprises de compenser l’augmentation des cotisations patronales prévue dans le projet de loi sur les retraites… Comme si notre problème essentiel était le sempiternel coût du travail.
Or un grand nombre de nos difficultés actuelles, et parmi les plus importantes, proviennent en réalité d’un coût du capital trop élevé. C’est ce que les économistes atterrés souhaitent présenter et mettre en discussion dans cette conférence débat. Il s’agit de faire voir, d’une manière actualisée, les conséquences néfastes de l’élévation du coût du capital dans l’ère du capitalisme financiarisé, tant sur les plans microéconomique que macroéconomique. Conséquences sur l’emploi, les inégalités de revenus, la pauvreté, le développement des entreprises…
Le capital a certes toujours un coût. Ce coût, c’est l’effort collectif qu’il faut fournir pour fabriquer les biens d’équipement neufs destinés à renouveler ou augmenter le stock de capital productif (les moyens de production des entreprises). A ce coût, il est permis d’ajouter le risque entrepreneurial ou marchand, ainsi que le coût de fonctionnement des canaux de financement. Mais au-delà de ce coût économique ou coût réel, l’acquisition des biens capitaux par les entreprises se « surcharge » d’un coût financier déterminé par les modalités d’approvisionnement des entreprises en capitaux liquides nécessaires au financement de ces acquisitions. Ce coût est formé des revenus prélevés sur l’entreprise – intérêts et dividendes – qui n’ont, en dehors du risque entrepreneurial et du coût d’administration des placements, aucune justification économique. Il s’agit donc plutôt d’un surcoût.
Or, ce surcoût a fortement augmenté depuis le tournant des années 80, pour atteindre des niveaux sans doute insoupçonnés : le coût réel du capital est majoré, selon les hypothèses retenues dans une étude réalisée par le Clersé, de 50 à 70 %. Pour l’année 2011, le surcoût du capital se serait ainsi établi entre 94,7 et 132,7 milliards d’euros…
Les effets de cette élévation du surcoût du capital sont aujourd’hui bien connus. On observe, évidemment, une augmentation du prélèvement financier (intérêts et dividendes) sur la richesse produite par les entreprises. Cette ponction vient diminuer à due concurrence les revenus perçus par les autres parties prenantes, au premier rang desquelles les salariés. Mais l’effet le plus massif de l’élévation de la rente financière va sans doute bien au-delà de son impact sur la répartition fonctionnelle des revenus. Il réside dans l’élévation de la norme de rendement financier imposée aux entreprises, laquelle réduit de manière directe les opportunités d’investissement (les projets d’entreprise) susceptibles de souscrire à cette norme. L’élévation des exigences actionnariales, en élevant le coût du capital, corsette l’accumulation du capital et contraint les économies anciennement industrialisées, en manque de nouveaux Eldorados, à un régime dépressionnaire.