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La montée en puissance du 5e pouvoir : la surveillence des citoyens ...

La montée en puissance du 5e pouvoir : quand les citoyens surveillent le 4e pouvoir (origine de l'article)

Marc-François Bernier (Ph. D.)
Professeur titulaire Chaire de recherche en éthique du journalisme
(www.CREJ.ca)
Département de communication
Université d'Ottawa
mbernier@uottawa.ca


Le 25 septembre 2012, la chroniqueuse Margaret Wente, du quotidien torontois The Globe and Mail, a dû se défendre des accusations de plagiat qui l’accablaient depuis plusieurs jours. Alors que la Public Editor du journal, Sylvia Stead, avait passé l’éponge quelques jours auparavant, les critiques se multipliaient sur les médias sociaux et trouvaient un écho dans certains médias traditionnels.

La veille, le rédacteur en chef du Globe and Mail avait reconnu, dans les pages de son journal, que Wente n’avait pas respecté les règles d’attribution selon lesquelles on doit identifier la provenance d'une information. Il a aussi pris des mesures disciplinaires, sans toutefois en révéler la teneur, tout en confirmant que la journaliste Wente demeurait en fonction. On apprenait aussi que la Public Editor Stead, qui se rapportait jusque-là à la salle de rédaction, allait dorénavant relever de l’éditeur, comme c'est le cas dans de nombreux médias, afin d’éviter la perception de partialité. On peut voir dans cette décision la reconnaissance d’un problème pouvant miner la crédibilité de cette fonction de critique interne, qui est un dispositif d'autorégulation du journalisme.

Dans ses archives électroniques, le Globe and Mail a ajouté une note du rédacteur à l’effet que la chronique de Wente a paraphrasé des idées et des affirmations d’un autre auteur sans clairement l’indiquer. La journaliste Wente soutient avoir plutôt commis une erreur en reproduisant un extrait qu’elle avait noté depuis longtemps. Elle en profite aussi pour déplorer que la vigilance du public s’est accrue depuis quelques années et que les journalistes, comme les médias, se retrouvent sous un microscope. Elle s'en prend également à une professeur de l’Université d’Ottawa, Carol Wainio, qui anime le blogue Media Culpa, consacré à la critique de ce qu’elle considère être des erreurs ou des fautes des journalistes et des médias. Wente se dit persécutée par ce blogue qui serait une liste « obsessive » d’accusations de plagiat et d’erreurs factuelles.

5e pouvoir
Il n’est pas nécessaire d’analyser dans le détail cette affaire, que certains ont qualifiée de Wentegate, pour saisir l'ampleur de la vigilance des citoyens actifs sur les médias sociaux, les blogues, Internet, etc. On pourrait évoquer de nombreux autres cas similaires, tel le Rathergate qui fut probablement le premier coup de semonce de la vigie citoyenne par l'intermédiaire de médias sociaux alors en tout début d'émergence(1) . Ou encore le cas du journaliste du Chicago Tribune qui a été congédié pour avoir inventé une source d'information dans le cadre d'un reportage, une faute professionnelle vite dépistée par la blogosphère.

Ce que révèlent de tels cas, c'est que la critique des médias et des pratiques journalistiques ne peut plus être maintenue en marge du débat public. Si la presse a pu longtemps exercer un contrôle (gatekeeping) sur le discours public, surtout celui pouvant la concerner, cela n'est plus le cas. Elle est révolue l'époque où la critique des médias, de la part des publics, ne pouvait que très difficilement se faire entendre sur la place publique, dont les journalistes étaient les gardiens incontournables. Jusqu'à ces dernières années, les médias qui dominaient le jeu pouvaient toujours sélectionner les enjeux et les sources qui les critiquaient publiquement. Ils pouvaient aussi exercer une sorte de monopole de l’autocritique en se dotant de dispositifs d’autorégulation (conseils de presse, ombudsman, médiateurs de presse), dont l’efficacité, l’indépendance et la crédibilité sont régulièrement mis en cause dans plusieurs pays.

Avec Internet et l'interactivité propre aux médias sociaux, plus rien ne peut endiguer le flot de critiques. Sans se prononcer quant à leur pertinence ou leur validité, il faut prendre acte du fait que le rôle de prescripteurs normatifs des citoyens est appelé à prendre une importance inédite. Les médias ne peuvent plus prétendre que l'autorégulation suffit à assurer la qualité et l'intégrité de l'information, puisque leur production souffre de carences rapidement décelées par les citoyens. On sait par ailleurs que l’autorégulation des médias est peu efficace.

On doit désormais considérer les citoyens comme des agents de la corégulation des médias. Cette corégulation est à la fois spontanée (par opposition au caractère ordonnée et institutionnel des conseils de presse ou ombudsman par exemple), et souvent excessive parce que motivée par des émotions ou basée sur une méconnaissance du fonctionnement des médias. Il n’en demeure pas moins que les citoyens se constituent en 5e pouvoir, qui a pris l’initiative de surveiller le 4e pouvoir qui est obligé de s’ajuster. Cela passe par notamment par des corrections, des rétractations, des aveux ou des précisions.

(1) En septembre 2004, en pleine campagne présidentielle américaine, CBS a diffusé un reportage dans le cadre de son émission 60 Minutes. Présenté par le réputé chef d'antenne Dan Rather, le reportage prétendait lever le voile sur le passé militaire peu glorieux de George W. Bush, en se basant notamment sur un document datant supposément des années 1970. Or, des citoyens ont rapidement réagi sur Internet pour dénoncer le fait que ce document était un faux. CBS a fait enquête, a reconnu son erreur et Dan Rather a été contraint de démissionner quelques mois plus tard. Cet événement fondateur de la montée en puissance du 5e pouvoir est maintenant connu comme la Rathergate.

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